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21 octobre 2019

Pourquoi voter?

À l’heure où vous vous demandez peut-être encore pour qui voter, d’autres remettent en question, avec les meilleurs arguments du monde, l’idée même de se rendre aux urnes. Plusieurs raisons très légitimes justifient l’abstention. Certains boycottent le vote pour contester ce qu’ils considèrent n’être qu’un simulacre de représentation politique. D’autres parce qu’ils jugent tous les politiciens égaux devant la bêtise, l’hypocrisie et la corruption. 

Comme le mentionnait la blogueuse autochtone Pam Palmater dans Maclean’s, pour les membres des Premières Nations, se rendre aux urnes signifie « voter pour son prochain oppresseur ». Il en va de même chez les anarchistes, pour qui voter équivaut à « se choisir un maître », comme le souligne Francis Dupuis-Déri dans Nous n’irons plus aux urnes. Le politologue démontre dans son plus récent essai par quelles manigances le vote nous a été vendu comme un devoir serti d’importance, et l’abstention, réduite à un crime de lèse-majesté. 

Si ma tête adhère à la plupart des arguments des abstentionnistes, mon cœur ne s’y résout pas. Peut-être parce que j’ai moi-même été endoctrinée par l’électoralisme, que Dupuis-Déri définit non pas comme une tactique vouée à attirer le plus de votes, mais comme une idéologie valorisant le système électoral. C’est peut-être aussi par candeur ou parce que j’envisage la politique comme un souper d’élimination d’Occupation double : un jeu imparfait avec ses stratégies, ses coups bas, ses gagnants, ses perdants, et beaucoup de gens entre les deux qui sont surtout inquiets de pouvoir terminer l’assiette de leur voisin.

Bien sûr, l’idée selon laquelle ceux qui ne votent n’ont pas le droit de critiquer n’est qu’un raccourci réconfortant pour ceux qui se contentent du suffrage parmi toutes les actions politiques dont disposent les citoyens pour influencer l’ordre des choses. Malheureusement, l’abstentionnisme raisonné, justement parce qu’il s’inscrit dans une réflexion radicale sur la représentation politique, prive trop souvent le progressisme de ses meilleurs éléments ! 

Pour les progressistes les plus tenaces, chaque parti mérite d’être écarté pour au moins une raison insurmontable, au grand plaisir des partis traditionnels.

En outre, je ne suis pas certaine que l’abstentionnisme envoie réellement le message qu’il souhaite faire passer. Loin d’être entendue comme une protestation, l’objection de conscience électorale est amalgamée à toutes les autres raisons – paresse, contretemps, manque d’intérêt – qui font qu’une personne ne va pas voter. Si on peut imaginer qu’une proportion d’abstentionnistes conteste le système, il semble plus probable qu’une majorité de non-votants ne se sentent tout simplement pas interpellés par la politique, de la même manière que d’autres restent indifférents devant la poésie ou… les soupers d’élimination d’Occupation double. 

Une autre idée mise de l’avant par les abstentionnistes est qu’un vote seul ne change pas grand-chose. « Comme à la loterie, écrit Dupuis-Déri, les chances sont extrêmement minces qu’un bulletin de vote individuel influence le résultat des élections. » C’est vrai. Mais s’attendre au contraire relèverait de la naïveté, de l’égocentrisme ou d’un savant mélange des deux. 

Les résultats électoraux sont le fruit de tendances qui, elles, sont influencées, entre autres, par des données démographiques. Bien que je ne pense pas exactement comme Karl avec un K d’Occupation double, nous appartenons à une même cohorte d’électeurs, les millénariaux. Notre génération, qui est la mieux représentée parmi les abstentionnistes, possède pourtant le poids nécessaire à renverser les gouvernements élus par nos parents. Or, même si un océan idéologique me sépare de Karl, notre groupe démographique partage un certain nombre de préoccupations, notamment l’environnement. Sans qu’une relation de causalité soit formellement établie, on peut supposer que plus ma génération se rendra voter, moins le parti ayant les positions les plus timides face à l’environnement aura de chances de former le prochain gouvernement. (Surtout si Karl avec un K reste séquestré en Afrique du Sud !) 

Mais si, comme les années précédentes, ma génération continue à bouder l’isoloir, les politiciens pourront garder leurs belles promesses pour nos parents qui, eux, sont statistiquement sensibles à des enjeux différents. Les politiciens adoptent une attitude électoraliste à l’égard de ceux qui votent. En n’allant pas voter, ma génération envoie surtout le message aux politiciens qu’ils peuvent concentrer leurs efforts sur les autres générations, conférant plus de pouvoir à ces dernières. Alors : Yo, le jeune ! Va voter !

Judith Lussier, La Presse+, 21 octobre 2019

Lisez l’original ici.

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