Pourquoi les femmes ont-elles de meilleures relations sexuelles sous le socialisme?
« Beaucoup de femmes vivent des relations insatisfaisantes. Et si elles ne peuvent pas quitter leur partenaire parce qu’elles en ont besoin pour boucler leurs fins de mois, c’est une situation qui n’est agréable pour personne. » Dans son dernier ouvrage, Why Women Have Better Sex Under Socialism, Kristen Ghodsee explique les acquis sociaux dont bénéficiaient les femmes des pays socialistes d’Europe de l’Est : de l’égalité sur le marché du travail aux crèches gratuites, en passant par des campagnes publiques encourageant les hommes à participer aux travaux ménagers.
Kristen Ghodsee est professeure au département d’études sur la Russie et l’Europe de l’Est de l’université de Pennsylvanie. Loin de toute nostalgie pour l’Europe de l’Est socialiste, elle livre dans son ouvrage une virulente critique de la privatisation des soins dont les femmes sont les premières à pâtir.
Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre ?
Kristen Ghodsee. Lorsque j’ai commencé à l’écrire, je vivais en Allemagne, où j’assistais à l’émergence du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). Je suivais par ailleurs attentivement la progression du parti de Viktor Orbán, en Hongrie, et celle de Droit et Justice, en Pologne. Et j’étais sous le choc de l’élection de Donald Trump. Je pense que c’est ce qui a déclenché mon envie d’écrire ce livre. Ces partis et ces personnalités politiques de droite radicale ne sont pas seulement autoritaires, traditionalistes et nativistes (en ce sens qu’ils lient le nationalisme à la haine des étrangers). Ils ont aussi une fâcheuse tendance à s’en prendre violemment aux droits des femmes.
En quoi le capitalisme nuit-il davantage aux femmes qu’aux hommes ?
Kristen Ghodsee. C’est un système qui impose culturellement aux femmes d’être les pourvoyeuses de soins dans la société. Sous le régime socialiste, le marché du travail était organisé de manière à permettre aux femmes d’assumer à la fois leur rôle de mère et celui de travailleuse. Cette organisation du travail a totalement disparu avec l’effondrement du socialisme. Un processus semblable est à l’œuvre en Europe occidentale : en période d’austérité, on détricote la sécurité sociale alors que la nécessité de prendre soin des enfants, des personnes âgées ou malades reste évidemment nécessaire. En fait, tout le fardeau des soins glisse tout simplement de la sphère publique vers la sphère privée, pour revenir avant tout aux femmes.
Et les femmes accomplissent ces tâches gratuitement. Lorsqu’un gouvernement décide de restreindre ses budgets, il sait pertinemment bien que ces économies se feront sur le dos des femmes.
La question qui nous intrigue tous : pourquoi les femmes ont-elles une vie sexuelle plus satisfaisante dans une société socialiste ?
Kristen Ghodsee. Lorsque les femmes sont plus indépendantes sur le plan économique, elles sont en mesure de prendre des décisions et de déterminer elles-mêmes la manière dont elles entendent mener leur vie. Dans une société où la sécurité sociale est efficace, elles sont moins sujettes à la pauvreté et sont par ailleurs moins souvent contraintes de rester à la maison pour s’occuper des enfants. Moins dépendantes économiquement des hommes, les femmes sont libres de rompre des relations abusives, malsaines ou, tout simplement, insatisfaisantes. Si leur compagnon ne leur donne pas de plaisir, elles peuvent s’en aller. (rires)
Aux États-Unis, environ 25 % des femmes de moins de 65 ans perçoivent leur assurance-maladie via leur conjoint. Le quitter équivaut à perdre leur accès aux soins médicaux. Résultat : beaucoup d’entre elles restent dans la relation parce qu’elles sont malades et n’ont pas les moyens d’aller chez le médecin autrement.
Les cas les plus extrêmes ces trente dernières années s’observent en Europe de l’Est, où les politiques visent ouvertement à ce que les femmes restent à la maison pour s’occuper des enfants et, donc, en dehors du marché de l’emploi. Leur dépendance économique est telle qu’il peut être plus intéressant pour elles d’investir dans une nouvelle poitrine que dans des études universitaires.
En trente ans, comment l’Europe de l’Est est-elle passée d’un système où les femmes jouissaient de leur indépendance économique à un système où elles sont pour ainsi dire réduites à une marchandise ?
Kristen Ghodsee. À partir de 1989, de nombreuses entreprises ont été privatisées. Un nombre incalculable de travailleurs ont perdu leur emploi et ce, dans un climat de coupes budgétaires drastiques. Les femmes ont été délibérément éloignées du marché de l’emploi. Renvoyées au foyer et à un rôle « naturel » consistant à s’occuper des enfants, elles ont aussi disparu des statistiques en matière de chômage.
Des mesures actives ont été prises pour compliquer l’accès à l’emploi pour les femmes. Ainsi, le congé de maternité a été allongé, mais non rémunéré. En outre, elles n’étaient plus sûres de retrouver leur poste à leur retour. Concrètement, les femmes devaient quitter le marché de l’emploi sans pouvoir le réintégrer par la suite.
Les droits des femmes dans les pays socialistes étaient-ils purement économiques ?
Kristen Ghodsee. L’émancipation des femmes est inhérente à la vision socialiste de l’émancipation de la classe ouvrière. Engels, Lénine et Alexandra Kollontaï (une révolutionnaire russe) imaginaient une avancée pour les droits des femmes dans le cadre d’une économie plus équitable.
Ceci dit, il faut ajouter que le travail des femmes fut indispensable en Europe de l’Est et en Union soviétique dans la mesure où beaucoup d’hommes étaient morts lors de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile qui avait déchiré le pays après la révolution d’Octobre. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, à partir de 1945, la main-d’œuvre féminine fut également plus que nécessaire.
La politique s’est donc adaptée aux nécessités économiques, mais toujours avec un fond idéologique très riche. Il faut savoir d’ailleurs qu’il y avait à la tête des parti communistes dans ces pays des femmes qui obligeaient les hommes à mettre leurs principes en pratique !
Voir aujourd’hui de jeunes femmes issues de minorités monter au créneau me donne beaucoup d’espoir. La résistance est à nouveau en marche.
Eefje Goossen, Solidaire, 24 janvier 2020.
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