Pourquoi à tout prix savoir qui sont les Black Blocs?
Depuis les manifestations du 1er Mai, cette question est sur toutes les lèvres : qui sont les Black blocs ? Mais est-ce la bonne question ?
Ça ne vous a pas échappé, c’était (c’est encore) en top des réseaux sociaux, en Une des quotidiens et dans la bouche des journalistes TV et radio : les « Black blocs », ces 1200 personnes, cagoulées, vêtues de noir et bien équipées, qui ont manifesté le 1er Mai et ont affronté les forces de l’ordre et le mobilier urbain (un restaurant McDonald, un établissement Renault et une autoécole).
Ambiance : voilà quelques secondes de l’ambiance de la manifestation du 1er Mai avec les Black blocs… ambiance qui n’est pas issue de vidéos amateurs ou de grandes rédactions, sans descriptions ni commentaires, seulement des images à la fois du côté manifestants et forces de l’ordre. Sinon, avec paroles, vous avez plutôt dû entendre ça :
« Individus encagoulés », « masqués », « casseurs », « extrémistes », mais « organisés », voici les quelques éléments de langage donnés pour tenter de définir les Black Blocs. Car, oui, c’est bien LA question qui court depuis 3 jours : qui sont-ils ?, chacun y allant de son historique, de sa définition, de son interprétation. Juste après cette question, il y en a une autre : comment agissent-ils ? sous-entendu (qui est en fait souvent formulé à voix haute) : pourquoi les a-t-on laissés agir pendant plusieurs minutes avant d’intervenir ? Gouvernement, opposition, chercheurs, et bien sûr le préfet, Michel Delpuech : chacun est sommé de répondre…
Chacun est donc sommé de répondre à ces questions de définition depuis mardi : qui sont les Black blocs et comment agissent-ils ? Comment donc les appréhender ? Vêtus de noir et de cagoules, anti-mondialisation et plus dans la dénonciation du pouvoir que dans la construction d’un mouvement propre, ils nous mettent au défi de les comprendre, de les rejoindre ou de les critiquer.
Malgré les données, les informations et les interventions savantes, on a l’impression que l’on a encore affaire à une espèce inconnue, à des bêtes curieuses, à un phénomène étrange. Qu’est-ce donc que ces individus qui sont à la fois invisibles, dans leurs intentions et leurs visages, mais frappants, dans leurs actions ? Comment allier nos impressions sur leurs élans destructeurs et leur déclaration, pourtant, « cette fois-ci on s’est organisé » ?
Pour comprendre ce que sont les Black blocs, autant leur donner directement la parole, c’était le cas de Tracks sur Arte ou d’Envoyé Spécial sur France 2. De quoi satisfaire notre désir de compréhension. Dans un article paru en 2002, l’anthropologue américain David Graeber, militant anarchiste, revenait aussi sur quelques caractéristiques associées aux Black blocs : violence, mondialistes anti-mondialisation, affinités et différences avec le marxisme… et sur la résistance qu’ils opposent aux définitions… groupe ou tactique militante ? Casseur ou idéologue ? Organisation ou réseau…
Mais on peut aussi s’interroger sur ce désir même de savoir, pas le désir de savoir en général, mais ce désir de savoir qui sont les Black blocs. Inconnus, curieux, étranges, quelque chose nous échappe. Mais d’où au final ? N’est-ce pas aussi dans cette curiosité pour les attraper et les saisir à tout prix avec des catégories strictes ? Pourquoi vouloir les faire rentrer dans des catégories ? Pourrions-nous penser autrement qu’en termes de partis, d’opposition ou d’Etat ? Imaginer, grâce ou à cause des Black blocs, une organisation sans hiérarchie ou un monde sans frontières ?
Géraldine Mosna-Savoye, Le journal de la philo, France Culture, 4 mai 2018
Photo: • Crédits : YANN CASTANIER / HANS LUCAS – AFP
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