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Photo de Gwenola Ricordeau et couverture du livre «1312 raisons d'abolir la police».
6 février 2023

Pour en finir avec la police une bonne fois pour toutes

Un ouvrage collectif à paraitre suggère que les réformes ne viendront pas à bout de la violence policière : pour y arriver, mieux vaudrait abolir la police.

 

Le meurtre brutal de Tyre Nichols par des policiers de Memphis met encore une fois en lumière la violence de la police. De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer de nouvelles réformes. Cette approche modérée serait toutefois nuisible selon la professeure de justice criminelle à la California State University, Gwendola Ricordeau. Elle appelle plutôt à l’abolition pure et simple dans 1312 raisons d’abolir la police.

Pivot s’est entretenu avec elle pour comprendre son raisonnement.

Pivot : Dans le livre collectif que vous avez dirigé, vous dénoncez les discours qui appellent à la réforme de la police, comme ceux qu’on entend depuis le meurtre de Tyre Nichols par des policiers de Memphis. Pourquoi?

Gwendola Ricordeau : Parce que les discours réformistes entretiennent l’illusion d’une police réformable. Ils servent au maintien de ce système qui est extrêmement cruel, raciste, classiste et patriarcal. Ils servent surtout à légitimer l’institution policière.

Les réformistes prétendent au dysfonctionnement. Pour eux, la faute revient aux policiers arrêtés pour leurs actes violents et à cette unité spéciale de police démantelée en réaction au meurtre de Nichols. Le récit réformiste entretient ainsi l’idée que la police a, dans ses marges, des problèmes, alors qu’elle est, en soi, un problème.

Pivot : Vous dites que la police fait partie d’un système plus large, qu’elle sert à protéger. Est-ce dire que pour abolir la police, il faut aussi s’attaquer au colonialisme et au capitalisme qu’elle sert?

G. R. : Pour la perspective abolitionniste que je soutiens, il n’y a pas d’abolition de la police sans projet révolutionnaire. Il ne sert à rien d’abolir la police si la société reste telle qu’elle est.

Par exemple, on peut très bien imaginer une abolition de la police qui passerait par un recours accru au travail social pour remplacer la police. Quand on dit qu’on aspire à une société sans police, c’est aussi dire qu’on aspire à une société dans laquelle on ne recourt pas à la punition, où on a des formes non punitives de règlement des préjudices et des torts et où on réfléchit au futur de cette façon-là.

Mais malheureusement, on peut aussi imaginer une abolition qui passerait par une montée en puissance des dispositifs de surveillance et de contrôle avec les nouvelles technologies, une perspective réelle à craindre et à éviter.

Pivot : Qu’en est-il des dispositifs technologiques de surveillances déployés pour surveiller la police elle-même, comme les caméras corporelles?

G. R. : Prenons en exemple la police de Memphis. Elle donne en spectacle une forme de « transparence ». Elle essaie de vendre l’image d’une police qui rend des comptes et qui a conscience de ses dysfonctionnements. Ce spectacle s’inscrit dans une stratégie de légitimation de la police, reposant sur l’idée (fausse) qu’une meilleure police est possible.

Les caméras permettent ainsi aux policiers d’avoir le contrôle sur les images, ce qui leur donne un certain pouvoir.

Elles contribuent aussi à changer le standard en matière de ce qu’on pense être la violence de la police, elles invisibilisent la violence qui ne peut pas être mise en image. Remettre en question l’existence de la police, ce n’est pas seulement dénoncer les formes dramatiques de violences.

Pivot : Comment peut-on avancer progressivement vers l’abolition?

G. R. : Plusieurs stratégies de luttes proviennent de moments révolutionnaires tels que les Black Panthers. Par exemple, il y a « copwatching », soit le fait de surveiller et de contrôler [par la population elle-même] ce que fait la police.

Aussi, certains mouvements abolitionnistes promeuvent des changements qu’on peut qualifier de « réformes non réformistes ». La différence, c’est qu’elles ont pour but d’affaiblir l’institution policière et qu’elles s’opposent à toutes réformes qui accroitraient le pouvoir de l’institution policière.

Par exemple, certains mouvements abolitionnistes se rallient autour d’appels au définancement de la police. Même si ce n’est pas une revendication abolitionniste en soi, ce slogan tente d’éviter l’impasse dans laquelle nous enferment les mouvements réformistes.

Francis Hébert-Bernier, Pivot, 6 février 2023.

Lisez l’original ici.

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