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3 octobre 2019

Plaidoyer pour l’abstention

Les citoyens qui délaissent les urnes seraient en fait plus engagés politiquement que certains exerçant leur droit de vote tous les quatre ans, d’après Francis Dupuis-Déri, qui signe un essai se voulant un véritable plaidoyer pour l’abstention. «Les abstentionnistes expriment et défendent leurs idées politiques, que ce soit dans des syndicats, dans des groupes de quartier, des groupes de gens, de militants anticapitalistes, antiracistes, écologistes, de femmes», lance-t-il en entrevue au Devoir. Contrairement au mythe qui veut que les abstentionnistes fassent preuve d’apathie politique, ces derniers exercent selon lui plutôt leur réflexion ou leurs actions politiques en s’impliquant davantage dans leur communauté, avance le professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal.

Après avoir d’abord annulé son vote durant quelques élections, le spécialiste de l’anarchisme rapporte avoir souvent été pris à partie par des proches quand il a décidé de tout simplement ne plus glisser son bulletin dans l’urne. «Il y a une telle justification, une telle glorification pour justifier le vote qu’il faut effectivement faire un peu de désordre pour expliquer pourquoi des gens sont raisonnables et rationnels lorsqu’ils décident de s’abstenir.» Il a donc entrepris d’expliquer pourquoi certains, comme lui, boycottent les journées électorales.

Mille raisons de s’abstenir

M. Dupuis-Déri relève que, tout comme lui, nombre d’abstentionnistes considèrent que «le peuple est dépossédé de son pouvoir à travers les élections». Ainsi, le fait de voter devient «faux, un mensonge, une illusion», car une minorité d’élus décident pour une majorité de gens à leur place. Parmi les autres raisons invoquées par les abstentionnistes, l’auteur observe également que des citoyens cessent de voter parce qu’ils ne se reconnaissent dans aucun parti ou parce qu’ils considèrent que soit «les politiciens sont un peu tous pareils, soit ils se préoccupent avant tout de leur propre carrière. Ils ne respectent pas leurs promesses». Plusieurs de ces personnes désillusionnées du système parlementaire trouvent selon lui «ridicule» de continuer de voter «pour le moins pire des partis par défaut, en se bouchant le nez».

En cherchant à dresser le portrait de ceux qui ne votent pas, l’auteur a aussi constaté qu’ils sont souvent issus des couches sociales les plus pauvres, sont des femmes ou des Autochtones. «Au Québec, par exemple, les Mohawks de Kanesatake ont le plus haut taux d’abstention, 98,4%, aux élections [provinciales] de 2014. C’est presque 100% d’abstentionnistes.» La très faible participation électorale des Autochtones un peu partout dans le monde s’explique par le fait que ces peuples ne se reconnaissent pas dans le système associé à un «État colonial» qui n’est pas le leur, ajoute-t-il.

Une réforme qui ne change rien

La semaine dernière, la Coalition avenir Québec a annoncé qu’elle va demander par référendum aux Québécois de lui donner le feu vert pour l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales. Une proposition que M. Dupuis-Déri qualifie d’«aristocratie élective», qui revient à porter une élite issue des classes sociales moyennes et supérieures au pouvoir, qui gouverne en étant élue par une minorité de l’électorat. Il concède toutefois que ce système réformé serait «plus équilibré» que le scrutin uninominal majoritaire à un tour, actuellement utilisé au Québec et au Canada. S’il n’en tenait qu’à lui, cependant, il n’y aurait pas de Parlement au Québec. Il plaide pour une société où les communautés seraient gérées de manière décentralisée, où les décisions seraient prises de manière autonome dans des assemblées générales. «Pas du tout dans des termes supercentralisés, superhiérarchisés avec quelqu’un qui prend des décisions pour sept millions de personnes au Québec et pour 35 millions de personnes au Canada», signale-t-il.

Pour Francis Dupuis-Déri, la démocratie existe quand un peuple peut se gouverner directement. Il estime que les parlementaires ont «usurpé» le mot «démocratie» pour «justifier l’usurpation du pouvoir du peuple». «Le fait que tous les partis qui promettent de réformer le mode de scrutin renient leur promesse une fois au pouvoir démontre très clairement que les parlementaires sont avant tout obsédés par le pouvoir et les avantages qu’ils en retirent», lâche-t-il.

En 2022, il reviendra cependant aux Québécois de décider s’ils souhaitent changer le mode de scrutin… en allant aux urnes.

Leïla Jolin-Dahel, Le Devoir, 3 octobre 2019

Photo: Marie-France Coallier / Le Devoir. Le professeur de science politique à l’UQAM Francis Dupuis-Déri se spécialise dans l’étude de mouvements sociaux, dont l’anarchisme.

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