Parce qu’ils le valent bien
Auteur de deux romans, cette production ne nourrissant pas son homme, Nicolas Rouillé décide de travailler en EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).
Entre le moment où il se dit « pourquoi pas ? » et le jour où il enfile la première fois sa tenue de travail, il se passe une semaine. La pénurie de main d’œuvre est telle que, sans aucune formation, le voilà prestement recruté en tant qu’ASH (Aide des services hospitaliers).
L’établissement est public. Il est géré par un Centre communal d’action sociale. La bâtisse assez vétuste de quatre étages date des années 1980. Le nouveau venu se confronte très vite aux acronymes, aux codes pour franchir les portes et aux quinze plannings d’horaires différents.
D’abord habiller et déshabiller les résident(e)s. Mais aussi les lever et les coucher, effectuer leurs toilettes, leur appliquer de la crème, changer leurs protections, nettoyer leur logement, les faire manger à la petite cuillère, dresser les tables, les desservir, faire la plonge… les journées sont éreintantes. Les personnels sont sous-payés, précarisés, surmenés. L’usure provoque des arrêts maladie non remplacés, le sous-effectif inhérent aggrave encore l’usure dans un enchaînement infernal.
Les vieilles personnes sont souvent là contre leur gré. Une pathologie trop lourde, une fragilité trop encombrante et les voilà placées « Jeune-homme, pouvez-vous me dire pourquoi je suis ici ? J’ai beau chercher, je ne sais pas ce que j’ai fait de mal ! » s’entend-il interpeller, un jour.
La résistance s’organise. Elle est individuelle. Face aux contraintes qui leur sont imposées, les résident(e)s peuvent parfois crier, taper, elles insultent ; se débattre, refuser de boire ou de manger, recracher les médicaments qu’on leur donne dès que le soignant a le dos tourne. Ultime révolte. Respectant la loi, l’équipe remplit le fameux « projet individualisé » recueillant souvent comme souhait « rentrer chez moi ! ». Seul moment de plaisir, le salon de coiffure, espace de respiration qui prend soin d’elles.
Pourtant, l’ennui n’est pas une fatalité. Toutes les idées sont les bienvenues, à condition qu’elles ne coûtent pas un sou. C’est vrai qu’avec 4 000 euros de budget pour l’année, le seul animateur disponible pour 88 personnes n’a guère de marge de manœuvre !
Parfois, il est toutefois possible d’ouvrir une brèche. Nicolas Rouillé s’y engouffre, en proposant un dimanche une mémorable séance techno ! Il faudrait pouvoir prendre du temps pour papoter, pour évoquer les souvenir des résident(e)s, les faire parler sur les photos disposées sur l’étagère, leur faire de la lecture, cultiver un potager, cuisiner de la pâtisserie, taper une belote… Rien que cela permettrait de redonner un peu d’humanité à ce qui ressemble quand même à un enfermement … à 2 200 euros de loyer mensuel ! Mais du temps, justement on en manque cruellement.
Dans un tel environnement, soit on se blinde et l’on risque de devenir cynique, soit on démissionne. Et pourtant l’auteur y restera 18 mois. La raison tient à ces rencontres plus attachantes les unes que les autres, à cet affectif qui se tisse, à tous ces moments de tendresse qui font culpabiliser, quand on projette de s’en aller, en abandonnant toutes ces belles personnes.
Finalement, Nicolas Rouillé s’en ira. Et c’est à travers ce beau témoignage qu’il rend hommage, à toutes celles et tous ceux qu’il a côtoyés tant dans le personnel que chez les résident(e)s.
Jacques Trémintin, Écrire sur le travail social, 14 août 2024.
Photo: Marmotte73 on Visual Hunt / CC BY-NC-SA
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