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5 février 2010

Nicolas Phébus, Voix de faits

En 1919, durant le siège de Petrograd, Victor Serge se voit confier la garde des archives de l’Okhrana, la police secrète tsariste. Il a pour ordre de les évacuer vers Moscou ou, si les armées blanches sont victorieuses, de les dynamiter afin que la réaction ne puisse s’en servir contre les révolutionnaires. Le danger écarté, grâce au fameux train blindé de Trotski, Serge a tout le loisir d’étudier en profondeur les documents et d’en tirer les leçons utiles qui seront exposées dans une série de trois articles publiés en France dans le Bulletin communiste à partir de 1921. Quelques années plus tard, en 1925, l’ensemble est «bonifié» de deux chapitres et édité par la Librairie du Travail dans un petit volume portant le titre Les Coulisses d’une Sûreté générale, ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression. C’est ce classique, réédité dans les années 1970 par Maspero, que Lux vient de ressortir des boules-à-mites pour l’offrir à une nouvelle génération militante.

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Quel intérêt peut-il y avoir à rééditer aujourd’hui un ouvrage paru pour la première fois en 1925? Je me le suis longtemps demandé et c’est entre autre pour cela que je ne l’avais jamais lu (malgré un pdf de l’édition Maspero qui circule depuis un certain temps déjà dans nos milieux libertaires). Beaucoup d’eau doit avoir coulé sous les ponts depuis le début du siècle, non? Et bien non.

À la lecture, passionnante soit dit en passant, on se rend compte que le schème général de la répression reste le même. Ce qui a changé, outre quelques innovations théoriques venant de l’Oncle Sam, c’est essentiellement la technologie. La répression est certes moins meurtrière aujourd’hui, du moins en occident, mais c’est essentiellement dû au fait que le courant révolutionnaire est également beaucoup moins menaçant. Sinon, les bonnes vieilles méthodes de l’Okhrana demeure d’actualité. Il s’agit de connaître intimement l’ennemi par un travail d’information, d’infiltration et d’analyse des données, de le perturber autant que possible par un travail de sape et de manipulation, de le provoquer enfin pour pouvoir le réprimer. La postface de Francis Dupuis-Déri, qui s’attarde à dresser le portrait de la répression aujourd’hui est à cet égard éclairant. Force est de constater que la répression est tout aussi systématique qu’au début du siècle, même au Québec (rappelons-nous du Sommet des Amériques)! Rien n’a changé …sinon notre détermination collective à changer le monde qui tend malheureusement à s’émousser.

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Victor Serge est un personnage étrange. Révolutionnaire et homme d’action, c’est aussi un journaliste doublé d’un écrivain. Anarchiste rallié aux bolcheviques, il n’aura de cesse de défendre publiquement le Parti tout en s’effrayant, en privé, de l’ampleur et de la férocité de la répression. Il a d’ailleurs aidé à faire libérer un certain nombre d’anarchistes (Voline notamment). Fidèle au régime, Serge défend dans la deuxième partie de son livre la nécessité de la répression et le travail de la Tcheka, ce qui est particulièrement troublant dans la mesure où il était déjà impliqué, au moment de la rédaction, dans un travail oppositionnel interne qui le fera éventuellement tomber dans les griffes du Guepeou (la police secrète stalinienne qui succède à la Tcheka). Finalement expulsé d’URSS, Victor Serge restera toute sa vie critique du totalitarisme mais fidèle à la révolution… Tout ce contexte est d’ailleurs très bien expliqué dans l’introduction de Éric Hazan et la postface de Richard Greeman (et oui, il y a deux postfaces).

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Nicolas Phébus, Voix de faits
5 février 2010

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