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20 octobre 2017

Naomi Klein et son pamphlet anti-Trump «Dire non ne suffit plus»

Aujourd’hui, Rozon et Salvail ; hier, Weinstein. Partout en ligne, des femmes « balancent leurs porcs ». Les dénonciations fusent contre les agresseurs sexuels alors que celui que l’essayiste Naomi Klein appelle le « prédateur en chef » occupe la Maison-Blanche depuis un an.

« La misogynie de Trump est absolument centrale pour comprendre qui il est et ce qu’il représente, pour comprendre sa marque, dit Naomi Klein en entrevue au Devoir.

« La marque Trump repose sur son impunité : il croit pouvoir faire ce qu’il veut à qui il veut parce qu’il est si riche. Pendant la campagne présidentielle, le candidat Trump a bien dit qu’il pourrait tirer sur quelqu’un à New York sans se faire arrêter. Dans la célèbre bande d’Access Hollywood, il disait que quand tu es une célébrité tu peux faire ce que tu veux aux femmes, qui vont se laisser faire. »

Le trumpisme est le vaste, très vaste sujet du dernier livre de l’égérie de la gauche altermondialiste Naomi Klein. Dire non ne suffit plus vient de paraître en traduction chez Lux au Québec, où se retrouvent déjà son maître ouvrage No Logo sur « la tyrannie des marques » et Tout peut changer, sur le thème « capitalisme et changement climatique ». Dire non ne suffit plus y côtoie aussi plusieurs ouvrages d’autres penseurs radicaux, dont Noam Chomsky.

« Brander » Klein ?

Est-ce seulement le bon terme ? La veille de l’entretien, Mme Klein donnait une entrevue publique à l’UQAM. Le lendemain, elle rencontrait un groupe d’aide aux réfugiés haïtiens. Est-elle militante, théoricienne, consultante ? Peut-on lui appliquer la bonne vieille formule gramscienne de l’« intellectuelle organique » pour faire d’elle une sorte de Rosa Luxemburg de ce début de XXIe siècle ? Comment l’auteure de No Logo se brande-t-elle elle-même ?

« Je ne le fais pas, répond-elle. Je laisse ce problème aux autres. En fait, je fais plusieurs choses. Je suis parfois dans l’action, en rencontrant des militants, en discutant avec eux. Souvent, j’écris, et ça me prend du temps, quatre ou cinq ans pour un ouvrage. Le dernier a été écrit dans l’urgence, en quatre mois. J’ai été stimulée par la volonté de produire une analyse qui pourra aider les mouvements en gestation à mieux affronter Trump et ses semblables. »

L’essai de quelque 300 pages présente le président comme une « créature de Frankenstein » constituée de plusieurs idées néolibérales et ultraconservatrices : la déconstruction de l’État régulateur ; les attaques contre l’État-providence et les services sociaux ; le tout au pétrole et la négation de la réalité des changements climatiques ; une « guerre civilisationnelle » contre les immigrés et le terrorisme de l’islam radical.

Un balcon d’observation

Naomi Klein est Canadienne et Américaine. Son père a fui les États-Unis pour ne pas participer à la guerre du Vietnam. Cette origine lui donne déjà le droit, pense-t-elle, de parler de ce qui se passe dans ce pays, y compris pour y faire la leçon.

« On ne me reproche jamais de ne pas me mêler de mes affaires. Comme je le dis au début du livre, nous subissons tous les retombées de ses politiques mondiales. Nous avons donc tous le devoir de nous prononcer sur les changements climatiques ou la menace nucléaire. »

Elle pense aussi que le balcon d’observation canadien permet parfois de mieux comprendre et critiquer les États-Unis. Surtout, la thèse centrale de son livre développe l’idée que Trump n’est finalement que le symptôme d’un système dans lequel on baigne tous autant que nous sommes.

« Je n’ai pas écrit un livre pour psychanalyser Trump. J’ai voulu comprendre quelles leçons on peut tirer de cette réalité politique, aux États-Unis et ailleurs. Trump est une alarme, un avertissement qui montre des tendances et aussi des exagérations de tendances qui vont finir par nous affecter au Canada comme ailleurs. »

Des exemples locaux ? Elle cite le « trumpien Kevin O’Leary », businessman et star de la télévision résolument de droite qui s’est présenté à la chefferie du Parti conservateur. Elle rappelle Rob Ford, ex-maire de Toronto, « bouffon divertissant, masquant un programme vraiment sinistre ». Elle parle de la loi sur la neutralité religieuse adoptée mercredi par Québec forçant les prestataires de services publics à montrer leur visage, même dans les autobus, une disposition contre le niqab et la burqa.

« C’est délicat, et je suis certaine que les gens ne veulent pas l’entendre de moi, mais il s’agit d’une autre forme de la politique de l’épouvantail qui consiste à unir une société contre une minorité. Ce n’est pas une loi en faveur des femmes, c’est une loi qui crée une division entre nous et les autres. »

 

Au bout du compte, elle ne souhaite pas réformer le système, mais bien le renverser. Son « non qui ne suffit pas », c’est aussi un oui pour une autre politique, une autre Amérique, plus verte, plus juste. Naomi Klein mise notamment sur le manifeste Un bond vers l’avant (The Leap Manifesto) adopté au printemps 2015 à Toronto en faveur d’une transition rapide vers des énergies renouvelables. Les idées de mutations visent aussi l’augmentation des impôts des compagnies et des plus riches, une taxe sur les transactions financières ou la réduction des dépenses militaires.

« Je ne veux pas aider ceux qui se pensent meilleurs juste parce qu’ils ne tombent pas aussi bas que Trump. Ce président a tellement abaissé la barre que n’importe qui semble au-dessus de lui. Justin Trudeau se nourrit de cette comparaison avantageuse. Il n’a qu’à faire un peu mieux pour paraître tellement mieux. Alors que face à la crise profonde actuelle, nous devons demander tellement plus de nos dirigeants. »

Stéphane Baillargeon, Le Devoir, 20 octobre 2017

Photo: Guillaume Levasseur / Le Devoir

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