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24 janvier 2016

Mira Cliche, Le libraire, juin 2009

Livre référence:
Les États-Désunis

Les états quoi?

Toujours à l’affût d’œuvres offrant un point de vue singulier sur l’Amérique d’aujourd’hui, Lux Éditeur nous offre un livre depuis longtemps introuvable: Les États-Désunis de Vladimir Pozner. Hybride de journalisme d’enquête, de récit de voyage et d’essai, cet ouvrage offre un panorama des tensions sociales, des mœurs politiques et de la folie ordinaire qui caractérisent les États-Unis au cœur de la grande crise des années 1930.

C’est en 1936, plus précisément, que Vladimir Pozner visite l’Amérique et recueille les impressions qui forment la matière de ce livre. Français issu de parents russes de confession juive, Pozner a vécu la révolution de 1917 et l’ébullition littéraire de cette époque. Poète en russe, prosateur en français, il a déjà quelques publications à son actif lorsque qu’il part à la découverte des États-Unis pour y promener son regard fin et drôle, critique et sensible.

Il ne faut pas chercher dans Les États-Désunis un texte suivi ou une étude patiemment argumentée : Pozner procède par collage. Il insère des passages de ses carnets entre de courtes études de cas, des entretiens personnels entre des citations de journaux, des récits grotesques entre des récits horrifiants. Hétéroclite, l’ensemble distille néanmoins tranquillement sa cohésion, ses traits récurrents, son système ― c’est au lecteur de travailler un peu ! Mais cet effort est loin d’être pénible, car Pozner écrit des essais comme d’autres écrivent des romans, avec un souffle proprement enlevant, un style rare et une façon de raconter qui révèle l’universel dans le cas particulier.

La réalité qu’il dépeint n’a rien de réjouissant. Du code de service des hôtels Statler à la pauvreté de Harlem en passant par le culte de l’efficiency, les tensions raciales exacerbées, la corruption de la police, les grèves illégales, la culture du crime et les ersatz d’amour ― tout, dans ce livre, crie au secours. À Scottsboro, deux jeunes Noirs sont injustement accusés d’avoir violé deux jeunes filles blanches. À New York, un homme tente en vain d’écouler à un prix dérisoire de vieux stocks de lacets. En Virginie, une mine de silice obtient un prix de gros chez un entrepreneur de pompes funèbres pour enterrer les employés qu’elle empoisonne quotidiennement. Dans les médias, un fabricant de bombes lacrymogènes vend son produit en nommant les manifestations de grévistes qu’il a permis de disperser. « C’est donc ça, l’actualité américaine ? », demande Pozner au romancier John Dos Passos, avec qui il a l’honneur de s’entretenir. Et Dos Passos de lui répondre: « Oui, et en même temps, dans notre Amérique barbare et violente, il existe une ancienne tradition démocratique. La question est de savoir si l’on peut la ranimer. »

Comme le remarque Chomsky dans un bref entretien présenté en conclusion du livre, le tissu social des années 1930 est tramé beaucoup plus serré que celui d’aujourd’hui. La crise économique actuelle se distinguerait de celle que dépeint Pozner par cet esprit de corps qui fit se liguer les chômeurs et s’organiser les activistes politiques de gauche. Aujourd’hui, observe Chomsky avec pessimisme, Pozner aurait probablement dépeint l’absence d’horizon, l’absence d’espoir en un monde meilleur.

Mira Cliche, Le libraire, juin 2009

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