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Détail de la couverture du livre «L'ivresse des communards».
31 janvier 2023

L’ivresse des communards, de Mathieu Léonard

Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas parlé plus tôt de ce livre, paru en 2022. Il y avait trop de choses! Toutes mes excuses pour ce retard, aux lectrices aux lecteurs, comme à l’auteur!

On le dit… Les communards étaient des ivrognes. C’est imbibés d’alcool qu’ils ont pris le pouvoir, fait la fête, et même délibéré. Les décrets qu’ils ont pris, sur la famille et la religion, par exemple, le prouvent. Ils étaient tellement ivres que, inévitablement, ils ont été écrasés par l’armée versaillaise…

Quelques mois après les « événements », l’Académie de médecine qualifiait l’insurrection communaliste de « monstrueux accès d’alcoolisme aigu ».

Légende noire d’une Commune grise, dit joliment Mathieu Léonard pour présenter son travail. Historien, auteur de L’émancipation des travailleurs, une histoire de la première internationale, il est aussi vigneron (en vin naturel, précise la quatrième de couverture de son livre), et donc particulièrement qualifié pour traiter ce sujet.

Le sous titre du livre, « prophylaxie antialcoolique et discours de classe (1871-1914) » l’indique bien, il s’agit d’une étude savante — et néanmoins passionnante — des textes des historiens réactionnaires bien entendu, mais aussi de la littérature médicale. Sur l’alcoolisme « des classes ouvrières », comme on disait, la deuxième moitié du dix-neuvième siècle ne manque pas d’auteurs — penser à Zola, entre beaucoup d’autres — qui ont utilisé des arguments réputés scientifiques pour identifier prolétariat et ivrognerie — et donc révolution et ivrognerie. Comme me le signale Mathieu Léonard, cela ne s’est pas arrêté à la fin du dix-neuvième siècle, puisque « le Malet-Isaac », livre d’histoire utilisé dans les écoles jusqu’en 1953, disait:

La population parisienne, surtout la population ouvrière des quartiers de l’est, était sortie du siège dans un état de déséquilibre physique et moral, les nerfs malades, la santé délabrée par le manque de vivres joint à l’abus de l’alcool.

Le livre de Mathieu Léonard est particulièrement bien venu: sans doute pour aller contre cette image du communard ivre-mort, les historiens de la Commune ont un peu de mal aujourd’hui à mentionner cette question. Il y a bien une anecdote dans Paris bivouac des révolutions, de Robert Tombs, où l’on voit quatre bataillons de la garde nationale abandonner les remparts pour piller une cave, mais, comme le remarque Mathieu Léonard, l’auteur ne donne pas de source…

De même que les gardes nationaux ivres-morts vont avec les « cocottes de bas-étage » et autres « pétroleuses », les communards abstinents m’évoquent irrésistiblement les « vierges rouges ». Je l’ai sans doute déjà dit, mais je préfère les hommes et les femmes normaux.

Et puis… soyons sérieux! Ce n’est pas avec ce qu’ils gagnaient (1,50 francs par jour) que les gardes nationaux pouvaient se nourrir et nourrir leurs familles dans une ville assiégée. Je ne résiste pas au plaisir de citer, comme le fait Mathieu Léonard dans son livre, le journaliste anarchiste Émile Pouget, dans son Père peinard du 9 juin 1889,

Il faudrait, nom de dieu, de la bonne boustifaille, du bon picolo, ou du chouette petit bleu, pour nous refaire du sang. Mais pour bouffer quelque chose de naturel, il faut être à la campluche; dans les villes y a plus moyen, aussi bien dans les petites que dans les grandes.

Si le livre étudie en détail la période 1871-1914, il évoque aussi « le pinard et la gnôle » distribués aux poilus, l’indiscipline de ceux-ci due à l’ivresse, le vin qui a « largement concouru, à sa manière, à la victoire », comme le dit… Pétain en 1935, cinq ans avant que Vichy interdise les apéritifs titrant plus de 16°, rendus responsables de… la défaite de 1940. Et même, beaucoup plus tard, un ministre de l’intérieur nommé Castaner discréditant le mouvement revendicatif des gilets jaunes par un

il y a eu beaucoup d’alcool […] ça a provoqué ces comportements idiots qui peuvent pousser à la violence, et là, ça devient inacceptable.

Un sujet toujours d’actualité, donc! Et un livre parfaitement buvable…

La Commune de Paris, blogue de Michèle Audin, 31 janvier 2023.

Lisez l’original ici.

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