L’InfoBourg, Juillet 2006
Livre référence:
L’anarchiste et le diable
Des rockers en bordée
L’Anarchiste et le diable – voyages, cabarets et autres récits nous jette sur les routes d’Europe avec Normand Nawrocki, l’auteur, Luc Bonin (devenu Urbain Desbois) et quatre autres comparses de la formation Rythm Activism, des vétérans d’un « orchestre d’information rebelle» au style cabaret punk.
Le livre nous communique le style échevelé d’un groupe qui allie des mélodies ukrainiennes réarrangées, des textes militants, un rock dévastateur et surtout un regard attentif aux exclus de l’underground que forment leurs auditoires et les squatters qui les accueillent dans les neuf pays visités en 45 jours.
Le texte est assemblé comme une partition musicale entrelacée de souvenirs de la vie on the road, de répétitions jusqu’à l’épuisement sous l’oeil bienveillant des « dieux de la création », de légendes urbaines au souffle puissant et de lettres personnelles. Ces lettres datent des temps du véritable underground, ceux de la lutte antifasciste de la fin des années 1930 que menait l’oncle de Nawrocki, Harry, en Pologne occupée. L’auteur essaie de retrouver cet homme dans les villes où débarque la camionnette surchargée du groupe, entre deux balances de son, sans jamais plus de quatre heures de sommeil par nuit.
J’ai particulièrement aimé la relation des rapports humains souvent difficiles entre les musiciens, des péripéties de coulisses qui ont rendu possible l’exploit de monter sans aide le spectacle dans des conditions d’épuisement croissant, de l’enthousiasme des auditoires qui a forcé les rockers à se surpasser, ainsi que de la passion bien rendue pour les racines musicales de Rythm Activism.
L’Anarchiste et le diable, publié chez Lux, donne également à voir un autre visage de la ville européenne, ainsi qu’une autre perspective, que ce soit celle des squatters qui accueillent l’équipe ou celle des travailleurs immigrés que marginalise l’Europe néo-libérale. La figure du mendiant intraitable y est omniprésente. Voilà une belle métaphore des conditions de poète, de militant et de travailleur, ainsi que des forces vives qui leur permettent de continuer, en marge de la société policée.
Avec une cinquantaine d’enregistrements musicaux, un spectacle de théâtre anti-sexiste et cinq livres de poésie et de fiction, Norman Nawrocki et Rythm Activism font honneur à la tradition du cabaret politique que pratiquait Bertolt Brecht au début du siècle dernier.
Martin Dufresne
L’InfoBourg, Juillet 2006