Liens socios, «comptes rendus», 19 décembre 2011
Ce petit cours d’autodéfense en économie est un ouvrage de vulgarisation critique destiné à ceux qui, n’ayant jamais fait d’économie, se sentiraient désabusés par le système économique qui gouverne leur quotidien. Si la traduction française vient de paraître, l’ouvrage original a été publié en 2008 au Canada. Cela dit, les changements économiques survenus depuis n’en diminuent ni la pertinence ni l’actualité, bien au contraire, même si le lecteur n’y trouvera effectivement pas d’analyses de la crise que nous vivons actuellement. Plus qu’un simple manuel d’économie, cet ouvrage s’inscrit dans un cadre très pragmatique qui permet aux non-initiés de comprendre les implications concrètes du capitalisme dans la vie de tous les jours. Jim Stanford assume et revendique un parti-pris idéologique et politique qui permet d’aboutir, en fin d’ouvrage, à une liste de réformes pour aller vers une économie plus sociale et démocratique. Il faut dire que le projet de cet ouvrage est né d’un cours d’analyse économique adressé aux salariés syndiqués au TCA (Travailleurs Canadiens de l’Automobile), l’un des plus grands syndicats du secteur privé au Canada. Aussi, la démarche de l’auteur peut être résumée par cette phrase conclusive : « Sur ce, je vous invite à mettre ce livre de côté et à vous retrousser les manches pour aller chercher une juste part de ce gâteau à la production duquel, par votre travail, vous contribuez avec tant d’énergie » (p.476).
Le grand mérite de cet ouvrage est sans aucun doute son style extrêmement pédagogique qui le rend très accessible malgré son volumineux aspect (près de 500 pages). Cet objectif est atteint grâce à un style narratif simple et discursif, comme peut l’illustrer le précédent extrait. De nombreux feed-back permettent de revenir sur les principales idées, au risque parfois de créer une certaine redondance dans les propos. De plus, l’argumentaire est agrémenté de nombreux tableaux simplifiés qui permettent un accès rapide aux principales données. Pour finir, le lecteur retiendra le schéma simplifié de la « grande boucle » de l’économie qui constitue une véritable trame de l’ouvrage, intégrant au fil des chapitres les différents acteurs du système économique et les liens et/ou flux qui les unissent. Ce schéma est ainsi repris régulièrement et permet de construire petit à petit ce que l’auteur appelle une « carte conceptuelle de l’économie ».
L’ouvrage est composé de 27 chapitres distribués en cinq grandes parties, ce qui permet une évolution progressive dans l’univers du capitalisme, idée après idée. Les deux premières parties sont, les plus simples, permettent de dessiner une première « petite boucle » de l’économie qui met en relation les entreprises, les ménages de capitalistes et de travailleurs. Les chapitres suivants deviennent plus intéressants et permettent d’intégrer au schéma la concurrence, l’environnement (pollution et ressources), le système bancaire, l’Etat et la mondialisation. Au final, ce parcours permet de saisir le fonctionnement simplifié du système capitaliste dans son ensemble, pour ensuite en démontrer les failles et risques majeurs. J. Stanford n’hésite pas alors à se déclarer économiste hétérodoxe au regard de l’école néo-classique, et remet ainsi en cause, entre autres, la théorie de l’avantage comparatif de Ricardo ainsi que la course folle de la financiarisation.
Le principal problème du système capitaliste (malgré certaines avancées qu’il a permises, comme le développement de la créativité et le dépassement de certains tabous) concerne avant tout les inégalités sociales sur lesquelles il repose. L’approche de l’auteur réside ainsi dans l’analyse du rapport de force entre travailleurs (la masse laborieuse) et capitalistes. La recherche effrénée de profits et l’utilisation qui en est faite par ces derniers sont alors considérées comme la cause des cycles d’expansion et de récession que nous connaissons. L’argumentaire se termine par un projet de réformes pour tendre vers ce que J. Stanford qualifie d’« économie durable à haut niveau d’investissement ». Celle-ci permettrait de soutenir de véritables démocraties, soucieuses de l’environnement, de l’égalité et de la prospérité de tous, où l’innovation et la liberté de choix auraient également leur place. Cette économie reposerait alors sur une importante logique d’investissement, qui serait contrôlé et orienté vers le bien commun.
Stanford revendique ainsi la part subjective et politique de toute théorie économique, et tire sa propre inspiration des idéologies socialistes. En ce sens son livre se rapprocherait presque d’un manifeste. Il dénonce la résignation des travailleurs à la précarité qui est la leur, pour encourager une prise de conscience collective, et un mouvement vers des réformes politiques qu’il considère tout à fait réalisables et à portée de main, notamment via la force des syndicats et des différentes formes de mouvements sociaux.
Lou-Andréa Chéradame, Liens socios,19 décembre 2011