Propaganda: l’art et la manière de manipuler l’opinion en démocratie
Ce livre est paru en 1928. Dans le fracas à peine éteint de la Première Guerre mondiale, alors qu’à l’Est une révolution s’est durablement installée au pouvoir, les milieux dirigeants des grands pays capitalistes recherchent le moyen de piloter les peuples en marquant leurs esprits. « Heureusement, la propagande offre au politicien habile et sincère un instrument de choix pour modeler et façonner la volonté du peuple », écrit Edward Bernays.
Et Propaganda va constituer un véritable manuel dont Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande nazie, fut un lecteur attentif.
Au cœur de la « démocratie », ce neveu de Freud qui n’hésitait pas à se réclamer de son oncle pour appuyer son discours sur les émotions, affirme haut et fort ce que dans les universités américaines de premiers théoriciens des sciences sociales avancent : les masses sont incapables de juger correctement des affaires publiques et elles constituent une menace pour la gouvernance de la société, ainsi que le relève dans sa préface Norman Baillargeon, auteur lui-même d’un Petit cours d’autodéfense intellectuelle. Pour ceux qu’on nomme alors aux États-Unis les Barons voleurs, les Carnegie, Rockefeller, les Vanderbilt, les Morgan, qui développent une formidable puissance et engrangent de formidables profits à coups de crise économique et même de famine, il faut conjurer l’indignation de l’opinion et l’essor des syndicats, tenir leur pouvoir à l’abri de la démocratie.
« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique, explique Bernays. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. » L’auteur va unir dans une même conception ce qu’on appelait alors la réclame et le discours politique. Après des premiers pas dans les spectacles pour lancer le danseur Nijinsky et le ténor Enrico Caruso, il célèbre le règne de General Electric avec les découvertes d’Edison et gagne aux marchands de tabac les femmes américaines en présentant la cigarette comme la flamme brandie de leur liberté. Pour Bernays, rien de plus ringard que le vieux Vox populi, vox dei.
Les spin doctors d’aujourd’hui, communicants qui se bousculent dans l’entourage de Sarkozy, ont, eux aussi, retenu la leçon : il est « essentiel que le directeur de campagne sache jouer des émotions en fonction des groupes ». Et la mise en garde de Noam Chomsky revient en mémoire : « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire. »
Patrick Apel-Muller, L’Humanité hebdo, 15 décembre 2007
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