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24 janvier 2016

L’Humanité, 7 octobre 2010

Livre référence:
L’enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies

Les facultés de droit et l’inégalité sociale

Dans un pamphlet mordant, Duncan Kennedy montre comment l’enseignement 
juridique dominant vise à légitimer les privilèges de classe, de sexe et de race.

Duncan Kennedy est professeur de droit à Harvard. Il fait le procès de l’ultraconservatisme des facultés de droit aux États-Unis, qui ne sont pas un modèle, malgré l’intérêt de nos ministres pour l’université américaine, mais un repoussoir. Le constat est cinglant : fortes inégalités entre les facultés, entre les professeurs, entre les étudiants, avec exclusion des plus démunis, en particulier des Noirs. Les professeurs, axés sur le droit des affaires, la procédure, les études de cas, écartent de plus en plus toute formation théorique et diffusent une « mentalité d’école de commerce » et d’expert en « habileté ». L’auteur souligne l’importance politique, idéologique et économique de la formation juridique qui légitime la hiérarchie sociale et les phénomènes de domination, au sein d’un système social, le capitalisme nord-américain, qui en a besoin pour assurer sa propre existence. En France, les progressistes des milieux littéraires et scientifiques négligent à tort le rôle souvent nocif des facultés de droit et la critique de fond que le formatage de leurs étudiants devrait susciter : la réputation de conservatisme inébranlable de ces établissements n’est pourtant que partiellement vraie. Le juriste progressiste existe, aux États-Unis comme en France. La question est grave car les juristes sont au cœur des appareils d’État et des grandes firmes. Or l’apprentissage qu’ils ont subi, aux États-Unis et en France (axé sur des techniques, des procédures et un descriptivisme passif), les conduit à « naturaliser » toute norme imposée par le pouvoir et à la considérer comme acceptable pour tous alors qu’elle n’est que du politique conjoncturel lié aux rapports de classes. Ces juristes s’enferment dans le monde tel qu’il est, sans esprit critique, contribuant ainsi activement à la régulation minimale d’un capitalisme qui de plus en plus s’évade de toute légalité. La seule réflexion dans les facultés américaines, selon Kennedy, se limite à la question « principe-pratique » (niveau zéro de l’approche critique), « droits fondamentaux-droit de propriété ». Quant au politique, il se réduit à « l’humanitaire » qui, dans les faits, vise à tuer le politique ! Kennedy ne reprend pas les thèses du marxisme vulgaire faisant du droit une simple façade formelle : le droit est bel et bien une composante du système social ; il structure les inégalités et les légitime. L’auteur décrit la réalité que l’on connaît aussi en France : la forte hiérarchie des enseignants. Le mouvement Conference on Critical Legal Studies né en 1977 à son initiative a de fortes ressemblances avec l’association Critique du droit née à Lyon en 1975 à l’initiative de jeunes universitaires (*) exaspérés par le mode de fonctionnement de leurs facultés. Un petit livre que les juristes français devraient consulter.

(*) J. Michel, J.-J. Gleizal, P. Dujardin 
et Cl. Journès.

Robert Charvin, L’Humanité, 7 octobre 2010

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