Lettre au prochain ministre de la Santé
L’urgentologue Alain Vadeboncoeur dit avoir rédigé l’ouvrage Prendre soin pour « stimuler cette volonté de changement qui devra nous inspirer si nous souhaitons réanimer » notre système de santé.
En le lisant, on se dit carrément que ce livre aurait pu s’intituler Lettre au prochain ministre de la Santé.
Car cet essai instructif se veut un mode d’emploi pour régler les nombreux ratés de notre réseau. Des problèmes qui, fait sagement remarquer l’auteur, « étaient déjà, et depuis longtemps, l’objet de réflexions ».
C’est en partie ce qui fait la force de ce livre (qui est le prolongement d’un précédent essai sur la santé, Privé de soins, paru en 2012). Alain Vadeboncoeur a eu trois décennies pour évaluer les problèmes de notre système.
Lorsque je l’ai interviewé pour la première fois, en 2001, alors que je couvrais la santé, il était coordonnateur des urgences de l’Institut de cardiologie de Montréal. Il avait aussi rejoint le comité d’experts du Centre de coordination national des urgences.
Il était déjà à la recherche de solutions.
L’autre grande qualité du livre, c’est qu’il est accessible. Jamais technique, ce petit essai est destiné à un large public.
Prendre soin est composé d’une vingtaine de chapitres, qui représentent chacun un échec du système, généralement raconté au moyen d’une anecdote mettant en scène un patient en chair et en os.
Un exemple : Patricia, une aînée qui reçoit des soins à domicile. Elle se retrouve aux urgences lorsque son état se détériore « en raison de manque de personnel à domicile ». Et quelques semaines plus tard, on doit la placer dans un CHSLD.
À ce sujet, la mauvaise coordination des soins et services offerts aux personnes âgées fragiles toujours à domicile est montrée du doigt par Alain Vadeboncoeur, tout comme l’hospitalocentrisme et ses effets pervers.
Un autre exemple : Pierre, qui rencontre l’auteur pour qu’il évalue ses problèmes cardiaques, mais dont l’examen doit être repoussé parce que les notes médicales d’autres établissements de santé ne sont pas encore accessibles. « Nous sommes toujours en attente du fax », écrit le médecin, qui raconte cette histoire en déplorant l’absence d’un dossier médical unique pour diffuser les informations sur les patients dans tout le réseau.
En 2022, c’est une situation aussi scandaleuse qu’incompréhensible. Et en santé, c’est loin d’être la seule…
Par ailleurs, aucun tabou n’est mis de côté par l’auteur, qui parle même d’erreurs médicales, de surmédication et du salaire des médecins (il voudrait le voir baisser pour en embaucher davantage, comme en Europe).
Vous aurez compris qu’on ne nage pas dans les théories abstraites ici. On est sur le plancher des vaches. Alain Vadeboncoeur rappelle d’ailleurs à quel point il est « essentiel d’écouter les gens du terrain » pour résoudre les problèmes.
Médecin engagé, il aborde son sujet avec une nuance humaniste et un optimisme indéfectible. C’est aussi ce qui fait la force de son ouvrage.
« Aucune entreprise n’est portée par autant de gens dévoués qui s’identifient à une telle mission pétrie d’humanité, soit celle de soigner », écrit-il en parlant du système de santé. Il suggère de les mobiliser, de s’inspirer d’eux et de leur donner les moyens de transformer leur milieu.
Nos décideurs, qui se questionnent sur les remèdes à administrer à ce système, auraient tort de perdre ça de vue. Et tort, aussi, de passer à côté de ce livre.
Extrait
« Je ne changerais de métier pour rien au monde, mais je ne suis pas naïf : même si je suis persuadé que la majorité de ce qui se fait dans le système de santé comprend beaucoup plus de positif que de négatif, je vois les problèmes comme tout le monde. Je les vis comme soignant ou en accompagnant des proches malades, je comprends ceux qui critiquent le système et je suis déçu de voir que nous nous éloignons souvent, pour une foule de raisons complexes, des approches qui permettent les meilleurs soins — cela, malgré la bonne volonté des soignants. »
Qui est Alain Vadeboncoeur ?
Urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal et professeur titulaire à l’Université de Montréal, il est aussi chroniqueur au magazine L’actualité, ainsi que l’auteur de plusieurs essais.
Alexandre Sirois, La Presse, 2 octobre 2022.
Photo: Alain Roberge / Archives La Presse
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