Les tout-puissants règnent sur la planète entière
Pas besoin de Netflix ou de Crave pour suivre ni les guerres et leurs victimes citoyennes, ni les effets délétères des changements climatiques. Tentons de comprendre l’incompréhensible en lisant La société de provocation: essai sur l’obscénité des riches (Lux, 2023), diatribe sur la misère (sic) des riches étudiée par la sociologue et universitaire Dahlia Namian.
Si les paradoxes du grand capitalisme les résument tous, celui relatif à l’alimentation donne le tournis. D’une part, il y a les banquets réunissant les riches et, d’autre part, la quasi-impossibilité pour la classe dite moyenne d’acheter les denrées à un prix correspondant à leur budget.
«Dans une Amérique vendue à l’illusion méritocratique, on cherche souvent à camoufler l’indécence de ces écarts de richesse en ayant recours à diverses stratégies. Les multiples fondations privées portant le nom des milliardaires qui les ont créées en sont un exemple flagrant… Cette générosité de façade permet de redorer l’image de celui qui tire des revenus pharaoniques de la surveillance et de l’exploitation de la vie privée de ses utilisateurs.»
Côté organisation du travail, on parle «de “réingénierie de l’État”, “d’optimisation fiscale des services”, “d’orientations stratégiques exogènes” ou de “gestions des flux de patients”». «Au Québec, l’application de cette logique, mieux connue sous le nom de “nouvelle gestion publique” (NGP), s’est faite par le truchement des multiples réformes vouées à accroître la “rentabilité” et l’“optimisation” des services publics, au détriment de leurs finalités sociales, du personnel et de la qualité des services.»
«Les conditions de travail des ouvriers d’Amazon comme chez d’autres entreprises de l’économie numérique, telles qu’Uber et compagnie, sont souvent enrobées dans un discours entrepreneurial jovialiste. Les travailleurs ne sont ni des ouvriers ni des employés, mais des “entrepreneurs”, des “partenaires”, des “subleaders”, des “agents d’exploitation logistique”.»
Côté loisirs ou vacances, les «modes de vie des classes supérieures vont généralement dicter au reste de la société les normes de “respectabilité” et de distinction… Cela s’observe, entre autres, sur les bateaux de croisière, aussi bien dans les espaces communs que dans les visites guidées, selon que les destinations soient touristiques ou balnéaires.» On n’est pas surpris d’apprendre que certaines villes, envahies par le tourisme de masse tel Venise et Florence, réglementent l’accès de leur territoire.
Que dire de la situation du logement, sinon que «l’achat d’immeubles pour les convertir en logements ou condo au loyer est si élevé que les habitants, incapables de les payer, doivent se relocaliser avec tous les effets sociaux qui en découlent.»
«Le destin tragique de l’Atlantide – un mythe raconté par Platon dans les dialogues du “Timée” et du “Critias” – nous interpelle aujourd’hui, dans un monde plus exposé que jamais à des canicules terribles, à des tornades de feu, à des ouragans puissants et à des inondations dévastatrices, où une poignée de riches s’acharnent à maintenir à tout prix un système qui les comble de pouvoir, de gloire et d’argent…»
«Bernés par les prestidigitations des ultrariches, nous les regardons, stupéfaits, dilapider les ressources de la planète. Dans son roman Chien blanc, Romain Gary appelle “société de provocation” cet ordre social où l’exhibitionnisme de la richesse érige en vertu la démesure et le luxe ostentatoire tout en privant une part de plus en plus large de la population des moyens de satisfaire ses besoins réels.»
Il faut agir immédiatement, car il n’y a aucune panacée miraculeuse pour guérir l’état actuel de la planète.
Jean-François Crépeau, Le Canada français, 22 août 2024.