Les écologistes-rois
Quand on a peur pour sa vie, toutes les règles sautent.
Le député de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois (GND) le souligne dans son livre Lettre d’un député inquiet à un premier ministre qui devrait l’être (Lux).
Dans l’entrevue qu’il a accordée au Journal, il formule le problème ainsi : « Il y a un réel risque, si la démocratie échoue à régler le problème des changements climatiques, que dans un certain temps les citoyens et citoyennes qui ont peur pour leur survie se mettent à se tourner vers des options autoritaires. »
L’ancien maire du Plateau-Mont-Royal, l’écologiste Luc Ferrrandez, a même évoqué — de manière un brin caricaturale — un éventuel retour aux affaires à titre de « leader du style autoritaire progressiste ».
Vieille question
C’est une vieille tentation dans le mouvement vert, comme le rappelle d’ailleurs Nadeau-Dubois dans son opus.
Un des premiers penseurs de l’écologie, le philosophe allemand Hans Jonas, se désolait en 1979 de l’obsession du court terme de nos démocraties où l’avenir n’est représenté par aucun « lobby ».
Il soutenait que malgré ses défauts (centralisation et bureaucratisme), seule une « tyrannie bienveillante » de type communiste pourrait faire face à la crise écologiste.
À la même époque, l’essayiste William Ophuls reprenait l’idée de Platon selon laquelle pour piloter un navire en eau agitée, vaut mieux avoir à la barre les meilleurs ; évoquant ainsi un règne d’écologistes-rois.
Plus près de nous, en 2007, un livre australien suscitait un débat houleux : The Climate Change Challenge and the Failure of Democracy (Praeger). Le coauteur, David Shearman, un médecin, dénonçait l’indécision chronique des démocraties. Les régimes autoritaires tels que celui de la Chine peuvent prendre les décisions qui s’imposent, plaidait-il.
Justin Trudeau, en 2013, avait d’ailleurs confié son « admiration » pour la Chine où le régime dictatorial pourra transformer l’économie « en un clin d’œil » et prendra « le virage vert plus vite », notamment grâce à « l’énergie solaire ».
Latulippe
De manière espérons-le inconsciente, le documentaliste Hugo Latulippe, candidat défait du NPD dans Montmagny-L’Islet (il a obtenu 6,8 % des voix), adoptait un ton d’écologiste-roi dans une lettre à La Presse, la semaine dernière.
À le lire, on comprend que ses adversaires sont totalement illégitimes, car ils profitent de l’ignorance de la population : « Je ne conçois pas que des Québécois contemporains puissent voter pour ce parti. Je ne m’y résous pas. Comment ne pas y voir un problème général d’éducation ? »
En définitive, les conservateurs sont dangereux pour la planète. Et pour passer à une autre ère, écrit-il, « il faudra une fois pour toutes détruire ces véhicules politiques qui ont commencé à s’enfoncer dans la fange conservatrice ». Aïe !
Je ne nie surtout pas le problème qui inquiète ces militants. Ni que nos démocraties, pourtant alertées depuis près de 30 ans, et de manière plus crédible depuis 10 ans, ont semblé réticentes à prendre certains virages.
Pourtant, comme Nadeau-Dubois, comme Steven Guilbault, je crois qu’il vaut mieux faire confiance aux démocraties, qui sauront bien définir les solutions.
Antoine Robitaille, Le Journal de Montréal, 9 novembre 2019
Photo: Simon Clark
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