Les brutes et la punaise (Lux Éditeur) – Dominique Payette
Les brutes et la punaise dissèque le phénomène des radios de confrontation, connues sous le quolibet de «radios-poubelles», et dont la plupart se trouvent à Québec. Dominique Payette y analyse la frontière ténue qui sépare journalisme d’opinion et manipulation politique, et livre ce salutaire rappel: si les médias ont le droit de prendre position, voire de soutenir des idées politiques, il est de leur devoir de le faire dans le respect des faits et, surtout, en laissant à leur public la liberté de ne pas être d’accord avec eux.
Il faut lire ce texte comme une réflexion inquiète sur la disparition des conditions nécessaires à un débat civilisé et rigoureux dans notre société. Comment invoquer la liberté d’expression pour justifier la prolifération de propos qui, de l’avis de plusieurs, empoisonnent l’atmosphère de la Cité? Peut-être le temps est-il venu d’affronter les effets délétères du commerce des injures et de la haine.
**
Vous pensez que la mysoginie, le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, le capacitisme et la grossophobie n’existent plus, ou ne sont plus tolérés, sur les ondes au Québec ? Radio X et toutes les radios poubelles de la province sont là pour vous prouver le contraire !
Nous ne vous ferons pas ici la liste des animateurs.trices qui prennent un immense plaisir hebdomadaire à répandre la haine sur leurs ondes. Non seulement ielles sont nombreux.euses, mais ne méritent pas qu’on leur fasse plus de publicité qu’ielles s’en font déjà.
Il est tout d’abord important de signaler l’importance primordiale de se procurer cet essai écrit par Dominique Payette. Parce que la liberté d’expression est un des fondements de notre démocratie et que les radios-poubelles (ou radios-propagandes), par leurs constantes attaques envers les communautés vulnérables, la menacent à chaque jour. Cet essai propose plus de pistes de réflexions que de solutions ou de réponses à cet enjeu malgré tout complexe, puisque les radios-poubelles ne datent pas d’hier. Voilà maintenant plus de 20 ans que, sur les ondes radios, des animateurs.trices traînent injustement dans la boue des personnes ou des communautés appartenant à des groupes marginalisés. Mais existe-t-il une justice, au Québec ?
»Combien faudra-t-il de jugements du Conseil de presse du Québec (CPQ) condamnant les propos haineux, de pétitions, de cris d’alarme, combien faudra-t-il de menaces et d’appels à la violence pour que les gens sensés sortent un jour de leur torpeur ? »
Il est à noter que le titre fut inspiré de propos haineux provenant d’un courriel reçu par l’autrice, alors qu’elle venait de publier une étude sociologique sur les radios d’opinions. »On vous a à l’oeil. On va vous écraser comme une punaise. » Alarmée à la réception de tels propos, l’autrice fit des démarches auprès de la police qui lui répondra »Il n’y a pas de danger réel. » Mais c’est aussi ce qui aura été répété ad nauseam par la justice, la police et les radios-poubelles alors que la communauté musulmane recevait une tête de porc dans un emballage cadeau, en plein Ramadan. Les animateurs.trices de Radio X n’y voyait là qu’une simple blague, diminuant l’importance d’un geste haineux comme celui-ci. Comment, dans une société qui se prétend évoluée et équitable, peut-on accepter que de tels gestes et propos soient commis, sans aucune sanction ? Lorsque Alexandre Bissonnette commettra l’attentat de la mosquée de Québec, les animateurs.trices qui incitaient à la haine en rappelant »qu’on est pas fait pour vivre ensemble », n’y verront là que le geste d’un homme perturbé, refusant toute possibilité que leurs paroles haineuses répétées pendant des années aient de quelconques répercussions. Quand on veut les cotes d’écoute sans la responsabilité qui vient avec…
L’ouvrage d’environ 150 pages découpe en 6 parties le phénomène entourant les radios-poubelles, et surtout, ses mécanismes et leurs répercussions. On y parle de l’attentat de la mosquée, mais aussi de de la manière dont ces radios ont pu voir le jour (inspirées du modèle américain des trash radio, où des »journalistes » font prévaloir leur opinion en se délestant de toutes responsabilités, ignorant l’importance de citer leurs sources de références et refusant tout débat avec quiconque ne partage pas leur opinion). On aborde ensuite les cibles sur lesquelles ces radios s’acharnent (chapitre 3), c’est à dire les femmes et les féministes, les environnementalistes, les pauvres et les autochtones, entre autres. On ridiculise le mouvement féministe parce que »nous n’avons plus besoin du féminisme, l’équité a été atteinte » (affirmation suivie généralement de propos dégradants, sexistes et haineux tel que »féminazies » ou encore des propos attaquant le physique des femmes), on parle des pauvres comme étant »des parasites profiteurs », les environnementalistes ne sont que »des anarchistes contre les libertés individuelles » et les autochtones »des arriéré.es ayant de lourds problèmes d’alcoolisme ». C’est le genre de propos qui tournent en boucle sur les ondes de Radio X depuis plus de quinze ans.
L’autrice évoque ensuite comment ces radios menacent la liberté d’expression tout en se cachant derrière celle-ci dès que les gens portent plainte contre les animateurs.trices, hurlant au droit de pouvoir s’exprimer et de dire tout et n’importe quoi, n’importe quand. Ce que ces »animateurs.trices » oublient volontairement, c’est qu’il y a une différence entre »liberté d’expression » et »liberté de pensée », la deuxième demandant un effort qu’ielles semblent en réalité incapables de faire. Avec ces animateurs.trices, le débat est impossible puisque la lutte est injuste. Ielles prennent en cible des communautés vulnérables qui n’ont pas les moyens de se défendre et agissent littéralement comme des goons ou des bullys, qui n’hésitent pas à aller pleurer dans la jupe de leur mère Radio X quand les plaintes fusent, avec raison. Ce qui est à noter, cependant, c’est que ces plaintes n’atteignent presque jamais leurs cibles. En 2017, sur 1300 plaintes reçues par le CRTC, à peine plus d’une dizaine auront été considérées, ne menant la plupart du temps qu’à un »blâme », c’est-à-dire l’équivalent d’une petite tape sur les mains. Belle justice.
On explore ensuite dans les derniers chapitres comment ce genre de radio (privée) peut encore exister aujourd’hui. On comprend qu’il y a un manque sévère au niveau de la réglementation et de la justice puisque ces animateurs.trices sont quasiment intouchables, constamment protégé.es par leur station de radio. On comprend également à qui ce genre de radio s’adresse (selon les études citées dans le livre, ce sont les 25-45 ans, hommes, blancs et hétéros, pro-automobile vivant dans la région de la ville de Québec qui écoutent majoritairement Radio X). On comprend en quoi les commanditaires financent cette radio privé et quels types de commanditaires on retrouve parmi eux. On le sait, le sensationnalisme et la haine rapportent gros, il n’y a qu’à voir comment cela se passe un peu plus au sud.
À cause de ce genre de radio, on comprend en quoi un climat de haine voit le jour et se répand facilement dans la tête des citoyen.nes. Quand des animateurs.trices de Radio X font des appels à »klaxonner les cyclistes », on réalise que cela n’a rien d’innocent, que ce n’est pas un jeu. Un tel geste met la vie du/de la cycliste en danger, tout cela sous prétexte que »la route appartient aux automobiles, un point c’est tout ».
Qu’on les appelle radios-poubelles, radios-propagandes ou radios d’opinions, le résultat est le même. Ces propos n’ont pas, et n’auront jamais, leur place dans des émissions de radio, dans un pays où on se prétend être évolué.es et vivre en démocratie. Ce qui manque grandement, c’est une vraie réglementation, une vraie justice pour que plus jamais des personnes ou des groupes vulnérables ne subissent de l’intimidation de la part d’animateurs.trices bornées, ignorant.es, raciste.s, sexistes et dégénéré.es.
L’essai se termine sur une suite de questions nous invitant à tenir à l’oeil ces radios-poubelles :
»…écoute-t-on ces radios parce qu’on partage leurs opinions ou partage-t-on ces opinions parce qu’on écoute ces radios ? (…) Les incitations à la haine peuvent-elles conduire des personnes instables à des actes criminels ? La souffrance de personnes ciblées peut-elle vraiment se justifier par la liberté d’expression d’animateur.trices ou de propriétaires de stations de radio ? Est-il équitable que ces derniers, en raison des moyens dont ils disposent, bénéficient d’un droit de parole et d’influence démesuré par rapport à l’ensemble des citoyens ? Un discours qui entrave la poursuite d’un débat démocratique peut-il s’inscrire de plein droit dans la liberté de presse ?
Quoiqu’il en soit, Les brutes et la punaise est un essai fort pertinent considérant le climat qui semble se détériorer de plus en plus à chaque semaine en Amérique du Nord. La situation est préoccupante dans la région de Québec, mais les autres régions ne sont pas à l’abri non plus. Il est de notre devoir de citoyen.nes d’avoir ces radios à l’oeil et de ne plus céder à l’intimidation et aux tentatives de baillonner l’opinion publique qui, elle, vaudra toujours plus que l’opinion d’animateurs.trices confortablement assis.es dans leur tour d’ivoire à répandre la haine en engrangeant, encore et toujours, plus d’argent.
Si vous désirez porter plainte ou vous renseigner sur le sujet, nous vous conseillons également ce site qui est remplit de ressources pertinentes : https://sortonslespoubelles.com
Thomas Duret, Arts & Culture, 2 juin 2020
Lisez l’original ici.