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Détail de la couverture du livre «Séparés mais égaux».
25 octobre 2025

L’école «Titanic»

L’école à trois vitesses est un désastre social et un scandale moral.

 

Dans mon milieu d’origine, la classe populaire de région, l’école privée n’avait pas la cote. On ne la considérait comme bonne que pour les chochottes et les filles à papa. Dans mon village, dans les années 1980, si tu voulais garder tes amis, tu allais à l’école de tout le monde, point. Nous, les gens ordinaires, regardions de haut les bizarres qui allaient au privé. Nous les imaginions victimes des lubies prétentieuses de leurs parents.

Quarante ans plus tard, les choses ont changé. Aujourd’hui, environ 20 % des jeunes Québécois fréquentent l’école privée au secondaire. Les autres vont à l’école publique, mais 20 % des jeunes de ce niveau sont inscrits dans des programmes pédagogiques particuliers (PPP) — sports-études, arts de la scène, etc. — pendant que les 60 % qui restent se contentent de l’école publique ordinaire.

Un enseignant du secondaire, rencontré par le sociologue Christophe Allaire Sévigny, s’en désole. « Daniel a vu son école se transformer en une sorte de Titanic où chaque élève navigue dans la classe propre à son statut social. Ses élèves voyagent en fond de cale et cela les contrarie », peut-on lire dans Séparés mais égaux (Lux, 2025, 184 pages), une « enquête sur la ségrégation scolaire au Québec » qui fait mal en frappant dans le mille.

L’école à trois vitesses existe bel et bien au Québec. Les chiffres ne mentent pas. « Les élèves ayant suivi le programme régulier de l’école publique ont nettement moins de chances d’accéder au cégep ou à l’université que leurs pairs qui fréquentent des programmes sélectifs », note Allaire Sévigny. Environ 60 % des élèves du privé et 51 % des élèves des PPP vont à l’université. Seulement 15 % des élèves des classes ordinaires auront cette chance.

Certains en concluent que c’est là la preuve que l’école publique ordinaire ne vaut rien et s’engagent ainsi dans le sauve-qui-peut scolaire qui aggrave une situation déjà scandaleuse.

Mais qu’offrent donc de plus l’école privée et les PPP ? De meilleurs enseignants ? Non. Ce sont les mêmes, pour ainsi dire, formés de la même façon, dans les mêmes universités. Un meilleur programme pédagogique ? Non, puisque, pour être subventionnées, les écoles privées doivent appliquer le programme du ministère de l’Éducation. Souvent, de plus, la fréquentation de ces écoles exige de longs déplacements de la part des élèves.

Pourquoi y aller, alors ? La réponse à cette question est moralement peu reluisante. « En raison de son caractère sélectif (tant sur le plan économique que culturel et social), la composition sociodémographique de l’école privée se caractérise par la présence de jeunes à la position sociale plus élevée, ce qui en fait pour certains un milieu plus enviable, explique le sociologue. L’école privée vend d’abord un safe space pour les privilégiés. »

Et l’école publique, pour éviter la saignée, réplique avec des PPP qui singent la logique du privé, abandonnant ainsi dans la cale du bateau les jeunes qui n’ont pas trouvé de place en première classe.

L’école publique issue de la commission Parent a fait des miracles. Elle a permis à des jeunes provenant des classes populaires, comme moi, d’avoir accès à une éducation de qualité, d’aller à l’université et de créer une solide classe moyenne éduquée. Dans les années 1970, l’école secondaire privée n’accueillait que 8 % des élèves. L’éducation était vraiment démocratique.

Or, le désir de faire partie de l’élite, nourri par un discours capitaliste relancé sans gêne dans les années 1980, a incité les gagnants de la mobilité sociale rendue possible par la démocratisation de l’école — les enseignants et les infirmières, par exemple — à envoyer leurs enfants à l’école privée subventionnée et, se désole le sociologue, « à contribuer à la destruction des services dont dépend [leur] existence sociale ».

La classe ordinaire, lieu de la mixité sociale et de l’épanouissement de tous dans ses belles années, a été attaquée de toutes parts. Pendant que les élèves « des familles mieux nanties économiquement et culturellement » la désertaient pour se réfugier au privé ou dans les programmes d’élite du public, elle devait intégrer des élèves ayant de grandes difficultés d’apprentissage au nom de l’inclusion à tout prix.

La mixité sociale à l’école, bonne pour tout le monde, selon la recherche, n’existe plus, et l’égalité des chances, par conséquent, non plus.

À Montréal, un problème s’ajoute, du fait de l’exode des classes moyennes et aisées vers les écoles privées (34 %) : les enfants issus de l’immigration fréquentent l’école francophone, ce qui est très bien, mais n’y croisent plus d’élèves issus de familles québécoises de longue date. Pour l’intégration, on repassera.

Cette ségrégation scolaire, conclut à raison Christophe Allaire Sévigny, « est un désastre social », subventionné par l’État québécois. Il serait temps d’y mettre fin.


Louis Cornellier, Le Devoir, 25 octobre 2025.

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