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15 août 2022

Le système de santé sous le stéthoscope du Dr Vadeboncoeur

Comment va notre système de santé, essoufflé par deux ans de pandémie, et à la veille d’une « réforme Dubé » ? L’urgentologue Alain Vadeboncoeur ausculte le corps médical québécois dans son nouvel essai, à paraître cette semaine.

Dans Prendre soin. Au chevet du système de santé (Lux, 139 pages, à paraître le 18 août), le médecin militant émaille ses débuts de chapitre par des cas cliniques, illustrant chaque fois un mauvais pli.

Dans cet examen de 139 pages, on comprend que coince « le nerf de la guerre », c’est-à-dire l’argent et la rémunération des médecins. Les scans qui duraient jadis une heure se font maintenant en quelques minutes. Le prix facturé, lui, n’a pas diminué en conséquence. Face à eux, les psychiatres ne peuvent pas faire parler leur patient plus vite. S’ensuivent des salaires augmentés « de beaucoup » et surtout de manière inégale, sans avantage pour le patient.

Aux États-Unis notamment, « ils ne regardent pas combien de fois tu vois ton patient, ils regardent les indicateurs de santé et regardent si ça s’améliore ».

« Si on donne congé à l’urgence et que l’on revient au bout de trois jours… Tu n’as rien fait », conclut donc le Dr Vadeboncoeur. « On est assez frileux de changer le modèle pour voir s’il n’y a pas d’autres choses. On manque d’audace dans ce domaine. »

Soigner dans le vide

Autre plaie dans les centres de santé : les actes « inutiles ».

« Inutile » pour un médecin spécialiste de traiter des patients en bonne santé tandis qu’une infirmière pourrait s’en occuper, observe l’urgentologue. Pourtant, ce gaspillage d’expertise pointue s’observe chez les gynécologues, les psychiatres, les dermatologues…

Le remède, cependant, progresse. Depuis 2020, l’Institut de la pertinence des actes médicaux débusque les actes inutiles et les doublons fastidieux. Leur plus récente décision a été d’empêcher les pédiatres de prendre en charge les enfants en bonne santé.

Amputer ces services « inutiles » ne se fera pas sans heurt, prévient-il. « Ça fait vingt ans qu’un patient prend sa prise de sang annuel, et du jour au lendemain, on lui dit qu’il n’a pas besoin de ça. Il va y avoir résistance. »

L’heure des demi-choix

L’histoire récente montre que, devant les prises de décisions, Québec a souvent opté pour les « demi-choix ».

Les médecins de famille, par exemple, sont sur les deux fronts. Ils consacrent une large part de leurs temps dans les hôpitaux, alors que près d’un million de Québécois attendent en file pour être jumelés à l’un d’eux. « On a à peu près le même nombre de médecins qu’ailleurs, mais leur tâche est plus centrée vers l’hôpital. Alors en première ligne, on est découvert. »

Mais certains maux n’attendent pas. Les Québécois visitent ainsi les urgences plus que n’importe quelle autre société du monde. « Il y a des raisons à ça, et c’est la faiblesse de la première ligne », observe l’urgentologue depuis près de 30 ans. « On est toujours resté sur des demi-choix. Si ce sont les médecins de famille qui font de l’hospitalisation, il faut augmenter leur nombre, c’est clair. » La même indécision frappe le chantier de l’informatisation du réseau. Le Québec avait pourtant mis au point un logiciel capable de numériser les données médicales dès le début des années 2000.

« En 2016, le gouvernement a même signé un contrat de gré à gré pour l’acquérir et l’étendre partout au Québec, ce qui aurait représenté une avancée majeure », souligne-t-il dans son livre. « Sauf qu’en raison de pressions législatives, ce contrat a été annulé, et un appel d’offres a ensuite été lancé, mais n’a pas été remporté par la même firme. »

Ce changement de cap désole le médecin. « Si on avait continué dans la même voie, la pandémie aurait pu être un peu différente. »

La valse-hésitation de Québec autour de la privatisation des soins semble cependant avoir pris fin. « Il y a 10 ou 12 ans, il y avait plusieurs fronts en même de temps », rappelle l’ardent défenseur du régime public.

Qui se souvient de l’enthousiasme enfiévré autour des « PPP » ? « La plupart des gens comprennent que ce n’est pas ça la solution », et la place du privé ne se cantonne plus qu’à des « niches particulières », selon lui.

Les initiatives privées naissent souvent du manque de souplesse du réseau public, tel que l’écrit dans son livre le médecin essayiste. « L’orthopédiste Nicolas Duval, fondateur de la première clinique de chirurgie orthopédique privée au Québec, m’a déjà confié qu’il avait nourri le projet de créer une clinique publique, affiliée à un hôpital, et dévolue à la chirurgie orthopédique extra-hospitalière, comme il en existe des modèles performants dans d’autres endroits. Face à un refus des autorités, il aurait ensuite décidé, par dépit, de quitter la RAMQ pour fonder sa propre clinique. »

La décision d’ouvrir une des premières grosses cliniques privées du Québec repose donc sur « l’expertise, le volume, les complications », dit Vadeboncoeur, plutôt que sur « le mode de rémunération ».

Plus ça change…

L’urgence pandémique aura secoué les colonnes du temple au point où les changements se sont effectués à grande vitesse.

« Ça m’a rappelé que le réseau de la santé peut bouger très rapidement de façon très cohérente », note le Dr Vadeboncoeur. La crise aiguë passée, le grand paquebot qu’est le système de santé a repris son rythme de croisière. Il s’agit maintenant de savoir si la réforme voulue par le ministre Christian Dubé recentrera à nouveau la trajectoire du ministère au budget de 54,2 milliards de dollars.

C’est en fin de compte une sorte de révision par les pairs du « plan Dubé » que nous livre Alain Vadeboncoeur dans son nouvel opus. Les orientations ministérielles présentées ce printemps sont « assez froides, assez drabes », comme à l’habitude. « Mais ça correspond à des réalités très vivantes, que j’ai vécues, ça correspond à des soins, des patients. […] Je voulais repasser sur toutes ces questions-là sur lesquelles j’ai réfléchi. »

« Stimulant », donc, ce plan Dubé, mais impressionnant par son ampleur. « Est-ce que je suis convaincu qu’on est capable de faire tout ça ? J’ai un petit doute. Je ne sais pas si on a les reins assez solides. Mais, est-ce qu’on a le choix ? C’est plus qu’on n’a pas le choix, il faut faire de quoi », tranche celui qui a été chef d’urgence durant 27 ans.

Jean-Louis Bordeleau, Le Devoir, 15 août 2022.

Photo: Valérian Mazataud / Le Devoir

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