Le monde de l’édition est-il en danger?
Depuis des mois, le secteur de l’édition est en pleine tourmente. La cause? Le projet de Vincent Bolloré de fusionner les deux mastodontes du milieu – Hachette et Editis –, faisant craindre une situation de quasi-monopole très menaçante pour la diversité éditoriale. Les deux sociétés sont déjà la propriété du milliardaire breton. L’une (Hachette) via Lagardère, dont il est l’actionnaire majoritaire depuis juin, l’autre (Editis) via le groupe Vivendi. Si, à la fin juillet, Vivendi a annoncé renoncer à ce projet de fusion, et céder Editis pour conserver Hachette, le monde du livre dit rester vigilant. Car il peut encore faire bouger les lignes du marché pour le dominer autrement. Explications.
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Julien Lefort-Favreau
Professeur agrégé de littérature au Québec, auteur du Luxe de l’indépendance (Lux Éditeur, 2021)
«La “menace” évoquée est un réflexe corporatiste normal et légitime, mais c’est un discours à nuancer. Il existe différentes menaces, qui ne sont pas équivalentes. La concentration pose la question de l’uniformisation du contenu culturel. Mais l’indépendance n’est pas une vertu en soi: les grands groupes peuvent publier des sujets nouveaux et très intéressants. Ensuite, le secteur a toujours craint un déclin de la lecture. Déjà au XIXe siècle, les éditeurs se disaient menacés par la presse, puis par la radio, la télé, le cinéma. Il n’en est rien. Ces nouveaux médias se superposent à la lecture. Les ventes de livres au Canada sont d’ailleurs exceptionnelles depuis cinq ans. [Et le livre reste la première industrie culturelle en France]. Autre “menace”: les petits éditeurs arguent que les fusions entre grands groupes leur laisseraient moins de marge de manœuvre pour négocier la diffusion de leurs livres. En réalité, pour cela, les indépendants s’allient déjà aux grands groupes, seuls à être dotés des systèmes de distribution. L’indépendance n’existe donc pas vraiment. Aux États-Unis – où se prépare aussi une fusion entre deux des cinq plus gros éditeurs américains –, on évoque le risque de perte de pouvoir de négociation des auteurs, face à un trust d’éditeurs. L’argument est intéressant. Mais je ne pense pas que défendre son manuscrit devant quatre ou cinq groupes – soit des dizaines, voire des centaines de maisons d’édition – change beaucoup la donne. Pour moi, le nerf de la guerre, c’est la menace d’Amazon sur les librairies et les conditions de travail de ses employé·es. L’édition indépendante reste nécessaire pour mettre la chaîne du livre en concordance avec des valeurs politiques et lutter contre les excès du capitalisme.»
Aurélia Blanc, Tiphaine Thuillier et Alizée Vincent, Causette, 22 septembre 2022.
Photo: Manel & Sean
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