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24 janvier 2016

Le Monde, 4 décembre 2009

Livre référence:
Les États-Désunis

Il faut parfois savoir dire merci à la crise ! Pour les grands textes qu’elle nous incite à lire ou à relire – à commencer par ceux de Marx. Pour ces classiques qu’elle nous invite à redécouvrir, comme la lumineuse leçon d' »anatomie d’une catastrophe financière » professée dans les années 1950 par l’économiste John Kenneth Galbraith et récemment rééditée (La Crise économique de 1929, Payot). Et puis pour ces pépites oubliées qui resurgissent ici et là, à l’instar des chroniques de Paul Claudel, qui était aux premières loges lors du krach de Wall Street comme ambassadeur de France aux Etats-Unis (La Crise. Amérique 1927-1932, Métailié, « Le Monde des livres » du 27 novembre).

C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Les Etats-Désunis, de Vladimir Pozner (1905-1992). Né à Paris, ce fils d’immigrés russes a 33 ans quand paraît ce texte. C’est alors un jeune intellectuel dans le vent, qui a séjourné à Petrograd pendant la révolution de 1917, rencontré Gorki, Maïakovski et Akhmatova, traduit Tolstoï et Dostoïevski en français, et déjà publié trois ouvrages remarqués : Panorama de la littérature russe (1929), Tolstoï est mort (1935), un roman-documentaire sur les derniers jours de l’écrivain, et Le Mors aux dents (1937), l’odyssée extravagante d’un baron balte engagé dans une lutte à mort contre les bolcheviks.

Mêlant « choses vues », extraits de journaux et comptes rendus d’entretiens réalisés par l’auteur lors de son séjour outre-Atlantique en 1936, Les Etats-Désunis est un formidable (et très littéraire) portrait de l’Amérique au temps de la Grande Dépression. C’est une sorte de grand reportage, qui fait traverser le pays au lecteur, avec de longues plongées dans les quartiers les plus sordides de New York, des bas-fonds d’Harlem peuplés de petites frappes, de prostituées et de prédicateurs illuminés, à la misérable Bowery Street, au sud de Manhattan, où le froid, en hiver, tuait les pauvres à la chaîne.

Militant communiste, particulièrement sensible aux injustices sociales et aux inégalités raciales, Vladimir Pozner fait surtout preuve, dans ces pages captivantes, d’une lucidité redoutable : quand il annonce le caractère inévitable d’une guerre mondiale ; quand il prophétise, avec dix ans d’avance, la folie maccarthyste ; et surtout quand il salue la pertinence de ce jugement que lui a confié l’écrivain Theodore Dreiser : « La finance est la seule force qui dirige le monde. (…) C’est comme un cancer qui tue des millions d’êtres. Nous essayons d’en découvrir le microbe, de le combattre, mais, en attendant, le cancer tue. »
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LES ETATS-DÉSUNIS de Vladimir Pozner. Suivi d’un entretien avec Noam Chomsky, postface de Jean-Pierre Faye. Lux Editeur, 354 p., 20 €.

Thomas Wieder
Article paru dans l’édition du 04.12.09

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