Le Monde, 18 novembre 2009
Livre référence:
La mentalité américaine
Longtemps enfouie sous les stéréotypes, la tradition de gauche aux États-Unis commence à se faire connaître en français. Tel est le cas de la pensée d’Howard Zinn. Cet historien, né en 1922 à New York, a passé quarante ans, à l’université de Boston, à mêler engagement « radical » (gauche critique) et étude de la résistance à l’injustice dans son pays. Grâce à l’installation récente en France de Lux, une maison d’édition québécoise d’inspiration anarchiste, les textes rassemblés dans cette Mentalité américaine contribuent à rendre plus précise cette figure de l’« autre Amérique ».
L’un des traits caractéristiques de la tendance protestataire outre-Atlantique est son attachement profond à la problématique du droit. La légalité n’est pas sui generis à rejeter. À condition que codes pénaux et Constitutions respectent les promesses contenues dans leurs principes ; celles d’une société où la justice vaut plus que la simple obéissance à l’ordre établi. D’où la légitimité de la « désobéissance civile ».
L’évaluation morale et politique de cette attitude de refus doit toutefois s’apprécier à ses conséquences. Juste est, selon Zinn, de ne pas se plier aux règlements interdisant certaines terrasses de café aux Noirs ou participer à une expédition militaire pourtant approuvée par le Congrès. Injuste est de livrer clandestinement, via l’Iran, comme le fit Oliver North dans les années 1980, des armes à la Contra nicaraguayenne, parce que le résultat ne se chiffre qu’en destructions pour les populations. Il est temps, pense Zinn, de bannir tout usage du concept de « guerre juste ».
À cette généalogie de la désobéissance se rattachent les réfractaires du Vietnam ou les militants pour les droits civiques, dont Zinn a accompagné et soutenu le combat et dont il rappelle utilement dans cet ouvrage quelques épisodes méconnus. Il estime que la révolte imprévisible des jeunes à l’orée des années 1960 a bien plus façonné le monde que le reaganisme. Elle est loin, croit-il, d’avoir révélé toutes ses potentialités.
Et Obama, dans tout ça ? Si Howard Zinn se réjouit quand même du départ de George Bush, il reste des plus méfiants face à un président qui mène deux conflits de front et dont les programmes en matière d’assurance-maladie universelle demeurent des plus timides. Mieux vaut, dit-il, se fier à un puissant « mouvement social », comme dans les années 1930 et 1960, qu’à l’hôte actuel de la Maison Blanche.
Nicolas Weill
Le Monde, 18 novembre 2009