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24 janvier 2016

Le Monde, 16 janvier 2010

Livre référence:
Moments politiques

Le livre du jour : « Moments politiques. Interventions, 1977-2009 », de Jacques Rancière

Le catéchisme du temps présent procède d’une religion de l’effondrement : fin de l’histoire, des utopies et des grands récits. Certes, la menace d’Al-Qaida semble parfois démentir Francis Fukuyama, théoricien d’une histoire mondiale parachevée dans le modèle libéral occidental. Certes, la crise financière écorne la realpolitik économique. Mais, depuis trente ans, la messe semble dite. Or le philosophe Jacques Rancière n’a jamais cru à cette fable. Dans ses textes d’interventions politiques qui couvrent la période 1977-2009, il soutient même que ce discours de la « fin » n’est rien d’autre que le signe d’une immense « contre-révolution intellectuelle ». C’est en effet à la fin des années 1970 que tout rêve d’émancipation égalitaire fut rangé du côté de la tentation totalitaire. C’est au coeur des années 1980 que l’immigration fut transformée en problème pour la nation. C’est au début des années 1990, avec la première guerre du Golfe, qu’une certaine intelligentsia occidentale légitima l’interventionnisme militaire des Etats-Unis jusqu’alors mis à mal par le souvenir du Vietnam. C’est aux abords des années 2000 que la critique marxiste, sans emploi, s’est recyclée dans la haine d’une démocratie confondue avec le règne de l’individualisme consommateur. Il n’est donc pas étonnant que ce recueil s’ouvre par une critique de la « nouvelle philosophie », notamment incarnée par André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy. Pas uniquement parce que leur dénonciation du goulag au profit d’une défense de la démocratie ne saurait tenir lieu de philosophie. Mais parce que les « nouveaux philosophes » utilisaient, selon Rancière, les mêmes ruses du dogmatisme marxiste pour faire passer des idées pourtant totalement opposées. Car c’est du magistère de la pensée que Jacques Rancière s’est toujours méfié. Depuis sa rupture avec la science marxiste, il s’attache à dissoudre les hiérarchies intellectuelles qui séparent les savants des ignorants.

De Platon à Bourdieu, c’est toujours la même chanson qui se décline sur tous les tons : les hommes sont dominés parce qu’ils sont ignorants, et ignorants parce que dominés. Jacques Rancière démontre avec conviction, dans ces textes de circonstance, sur une canicule meurtrière ou le port du voile islamique, qu’ils possèdent en eux-mêmes les moyens de leur émancipation.

Moments politiques.
Interventions, 1977-2009
Jacques Rancière
La Fabrique éditions/Lux,
232 p., 15 €

Nicolas Truong, Le Monde,
16 janvier 2010

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