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2 juillet 2018

Le manifeste des parvenus

Avec son essai intitulé Le manifeste des parvenus – Le think big des pense-petit, «la sociologue Julia Posca passe au crible le discours décomplexé de l’élite québécoise au pouvoir, qui rêve d’un Québec peuplé principalement de rentiers et de patrons».

Introduction : Notre monde confond tellement ses valeurs qu’il honore les pires fraudeurs parce qu’ils se pavanent en passant pour des philanthropes. L’auteure donne des exemples du copinage entre riches et puissants, et explique que son livre vise à combler l’absence d’un «manifeste qui sache porter sans fard, sans complexe et sans faux-fuyant, le discours et le projet de société de l’élite actuelle du pouvoir québécois». L’auteur.e présente ce manifeste dans la première partie (ironique, bien sûr) et y réagit dans la deuxième.

I. Le manifeste des parvenus

Premier commandement. L’argent, tu honoreras : Les Québécois.es auraient un problème avec l’argent. Il serait en effet tabou d’en avoir beaucoup et surtout de le montrer. L’auteure profite de ce sujet pour nous servir (en faisant semblant de la critiquer, bien sûr!) la citation de Keynes que j’ai toujours préférée : «L’amour de l’argent comme objet de possession, qu’il faut distinguer de l’amour de l’argent comme moyen de se procurer les plaisirs et les réalités de la vie, sera reconnu pour ce qu’il est : un état morbide plutôt répugnant, l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales».

Deuxième commandement. À plus petit que toi, tu ne t’intéresseras pas : Il y a trop de salarié.es sans ambition. Tout le monde devrait devenir entrepreneur.es. «La Fontaine avait tort. La grenouille peut et doit se faire aussi grosse que le bœuf». Comme ça tout le monde serait riche.

Troisième commandement. Une économie de dirigeants, tu bâtiras : Le «développement de l’entreprise privée est la voie privilégiée vers l’enrichissement individuel et collectif». Pour protéger les services publics, il faut donc développer les marchés pour renforcer notre économie et faire en sorte que même les services publics adoptent un type de fonctionnement basé sur les marchés.

Quatrième commandement. Par l’impôt, tu ne te laisseras pas dérober : On ne célèbre pas suffisamment nos riches, ces grands créateurs de richesse. Non seulement il n’y a pas assez de riches au Québec pour que ça vaille la peine de les imposer lourdement, mais cela nuirait à la création d’emplois et de richesses.

Cinquième commandement. Le Bien, tu convoiteras : «La fortune confère de la puissance, et c’est sans doute l’ultime motif d’accumuler. (…) Il y a une limite au nombre d’épluche-patates ou de résidences secondaires qu’un individu peut raisonnablement consommer dans une vie. Au-delà d’un certain montant, l’argent ne sert plus à se procurer des objets, mais à agir sur eux, à les dominer, à façonner le monde». Ainsi, les riches deviennent souvent des philanthropes, choisissant à la place de l’État, sans contrôle démocratique, les causes sociales qu’ils et elles jugent suffisamment importantes pour les financer, et reçoivent les louanges de leur classe pour avoir fait ces choix.

Sixième commandement. La réalité de la vie, c’est l’entreprise privée : «Il faudrait que le Québec apprenne à valoriser ceux qui sont ambitieux, prospères et qui réussissent. C’est la responsabilité de la société de stimuler la culture entrepreneuriale». Pour atteindre cet objectif, de plus en plus d’écoles développent des formations sur l’entrepreneuriat dès le primaire. L’idée n’est pas seulement de développer des entrepreneurs, mais aussi de transmettre le respect de l’entrepreneuriat et de favoriser l’application de ses principes même dans des emplois salariés (notamment en considérant ses collègues comme des concurrent.es). Il faut bien qu’il reste des salarié.es, car «tout le monde ne peut être patron, sans quoi il n’y aurait, en toute logique, plus personne à diriger».

II. L’envers du décor. Quatre leçons à tirer du manifeste des parvenus

Première leçon. Les parvenus souffrent de délire paranoïaque : L’auteure montre à quel point il est ridicule de prétendre, comme le font des ténors de la droite, que la gauche dirige le Québec, contrôle ses principaux médias (qui appartiennent en fait entre autres à Power Corporation, à Québécor et à Cogeco) et endoctrine au communisme les jeunes dans nos services de garde et dans nos écoles (probablement durant les cours sur l’entrepreneuriat ou durant ceux sur l’éducation financière élaborés entre autres par des institutions financières…).

Deuxième leçon. Les parvenus ont liquidé l’élite progressiste et son projet de société : L’auteure raconte le progrès immense engendré par la Révolution tranquille, notamment dans le domaine de l’éducation, mais aussi grâce à la mise sur pied de bien d’autres institutions dans le domaine social. Ce mouvement s’est malheureusement inversé depuis quelques décennies.

Troisième leçon. Les parvenus s’enrichissent sans les autres : L’auteure présente une série de données illustrant la hausse des inégalités et la précarisation des emplois et de la situation des retraité.es. Elle aborde bien d’autres thèmes, entre autres l’augmentation des cas d’épuisement professionnel, les pressions subies par la consommation ostentatoire et les justifications des inégalités par nos élites qui en bénéficient.

Quatrième leçon. L’élite parvenue ne vous aime pas : L’auteure nous fournit quelques exemples de riches, certains nouveaux riches, d’autres héritiers, qui étalent leur mépris pour le reste de la population qui n’a pas eu leur chance, surtout lorsqu’elle ose revendiquer une plus grande justice sociale.

Conclusion. Voir grand : Aveuglé.es par la société de consommation, de plus en plus de citoyen.nes délaissent la politique «au profit du confort et de l’indifférence». Trop de politicien.nes, de leur côté, profitent «du mécontentement mal articulé de la classe moyenne» pour «trouver des coupables» de convenance et ainsi parvenir à «diviser pour régner». Mais, tout n’est pas perdu…

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! J’ai particulièrement apprécié la première partie qui sait, sans trop caricaturer (juste assez), faire bien ressortir les lieux communs de la droite économique. L’idée d’écrire un manifeste qui énonce sans complexe les concepts les plus détestables de la droite est tout à fait originale. La deuxième partie, pertinente, aborde des sujets plus souvent traités dans ce genre de livre. Elle est de bonne tenue, mais, après l’originalité de la première partie, suscite moins d’enthousiasme. Le tout se lit bien et les notes sont en bas de page!

Mario Jodoin, Jeanne Émard, 2 juillet 2018

Lisez l’orginal ici.

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