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24 janvier 2016

Le libraire, 28 septembre 2011

Livre référence:
Il y a trop d’images

Bernard Émond et ses proches

Bernard Émond est cinéaste, mais son magnifique petit livre affirme qu’Il y a trop d’images (Lux). Il est cinéaste, mais sa culture puise aussi aux livres. À pleines mains. Émond ne serait pas ce cinéaste engagé s’il ne portait en lui Vadeboncoeur, Bernanos, Péguy, Gauchet, Falardeau, Jacques T. Godbout, Orwell, Neruda… Quand Émond salue les auteurs qui lui sont proches, il identifie ce qui, pour lui, est important.

Deux questions qu’Émond fond en une seule remplissent Il y a trop d’images. La première: y a-t-il quelque chose au-dessus de l’être humain? La seconde: peut-on vivre sans servir?

À la première interrogation, Émond répond que oui, une présence accompagne et surplombe la personne humaine, mais il hésite sur le nom à lui donner. «Et si Vous n’existez pas, dit-il à ce Dieu incertain, il nous reste quand même la vie, la beauté, la planète merveilleuse et fragile, la liberté et la responsabilité. Ainsi que le silence.» Agnostique et non pas athée, Émond creuse ici un des soucis dont débattaient André Comte-Sponville et Luc Ferry; il s’apparente à Ferry plus qu’à Comte-Sponville (La sagesse des modernes. Dix questions pour notre temps, Robert Laffont). Surtout, il endosse Vadeboncoeur, disant que «l’inculture, dans la société, a fait des progrès stupéfiants» et que la religion est «en grande partie disparue et n’a pas été remplacée» (Trois essais sur l’insignifiance, L’Hexagone).

Dans le film La donation, un personnage d’Émond répond à la deuxième question. Il formule ce qu’Émond qualifie de «réponse totalement laïque à la question centrale de la trilogie». Lorsqu’on lui demande s’il croit en Dieu, ce personnage répond: «Moi, je crois une chose. Je crois qu’il faut servir.» Et Émond d’ajouter: «Je ne me suis jamais exprimé plus clairement à travers un de mes personnages.» Plus loin, la fusion aura lieu: «Vouloir servir, c’est-à-dire reconnaître l’existence de choses qui sont plus grandes que nous, qui sont dignes de foi, qui valent qu’on s’engage pour elles.»

Émond côtoie ainsi Jacques T. Godbout: «Il m’arrive de croire qu’en s’abandonnant à l’expérience du don, en acceptant d’être dépassé par ce qui passe par nous, on vit quelque chose qui n’est pas totalement étranger à l’expérience mystique ou à la transe» (Le langage du don, Fides). Même parenté d’Émond avec Marcel Gauchet, quand celui-ci déplore le recul de 1789: «Les idées de liberté, d’égalité et de fraternité ont été vaincues par les idées de 1914: devoir, ordre et justice» (À l’épreuve des totalitarismes. L’avènement de la démocratie (t.3), Gallimard).

Cohérent, Émond cultive donc le vrai. «Les gens qui veulent être réalisateurs ne m’intéressent pas. Ce sont ceux qui veulent faire des films qui m’intéressent.» Il aime la colère de Pasolini: «La télévision est au moins aussi répugnante que les camps d’extermination.» Comme Falardeau, il appartient au camp de Bernanos: «La liberté n’est pas un droit, mais une charge, un devoir.» Émond confirmerait ce que dit Bernanos du pessimisme: «Il arrive qu’après m’avoir traité de violent on me traite aussi de pessimiste. Le mot de pessimisme n’a pas plus de sens à mes yeux que le mot d’optimisme, qu’on lui oppose généralement. Ces deux mots sont presque aussi vidés par l’usage que celui de démocratie, par exemple, qui sont maintenant à tout et à tout le monde, à M. Staline comme à M. Churchill» (La liberté pour quoi faire? Essais et écrits de combat (t. 2), La Pléiade).

Un grand petit livre irrigué par des penseurs proches d’Émond.

Laurent Laplante, Le libraire, 28 septembre 2011

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