Le Droit, 12 août 2006
Livre référence:
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
Il y a des leçons à côté desquelles on ne peut pas se permettre de passer. Celles de Normand Baillargeon, « petit » prof (il enseigne les fondements de l’éducation à l’université du Québec à Montréal) et grande gueule notoire, collaborateur régulier des revues indépendantes Le Couac et À Bâbord !, tombent dans cette catégorie. Né de la consternation de l’auteur face à « l’état déplorable de la réflexion, du savoir et de la rationalité », ce Petit cours est un peu, pardonnez l’oxymoron, la Bible des sceptiques. En ce sens que qu’il permet de mieux révérer le Père cartésien, le Fils logique et le saint-Esprit critique.
Parce que « le sommeil de la raison engendre des monstres » (citation extirpée des Caprices de Goya), Baillargeon incite à se méfier des opinions déguisées en arguments. En pédagogue consciencieux, l’auteur commence par quelques notions de logique aristotélicienne et de rhétorique. Il procède en donnant—par étapes à peine plus longues que des psaumes, donc très faciles à lire—l’essentiel des outils nécessaires au décodage et au travail d’analyse rationnelle.
Et qu’y a-t-il lieu de décortiquer ? En premier lieu la « poutine » intellectuelle, ces pseudos discours, souvent faits de bruit et d’idéologie plus que de factuel. L’auteur cible plus particulièrement les messages de ce qu’il appelle les artistes « de la fourberie mentale et de la manipulation », à savoir les politiciens, économistes, scientifiques, en situation d’intérêts et/ou en position d’autorité. Face à leur influence sur l’espace public, il invite tout le monde à poser un acte citoyen en fronçant les sourcils. Son livre enseigne à flairer les sophismes, paralogismes, « écrans de fumée », « hommes de paille », glissement de pensée et autres généralisations abusives.
Après avoir armé ses lecteurs contre les dérives du langage, son Petit cours d’autodéfense intellectuelle s’attaque aux nombres, dénonce le « terrorisme » mathématique, ou statistique, et montre comment lire entre les méthodes comptables. L’auteur termine par un chapitre sur les médias d’information où il offre quelques pistes stratégiques pour éviter d’être victime de leurs
simplifications.
Rédigé dans une langue soutenue mais accessible, ce sympathique guide s’efforce d’aiguiser le sens critique sans assommer son lecteur. Il fourmille d’illustrations (signée Charb, de la revue Charlie Hebdo), de citations et d’exemples qui cherchent à faire sourire en même temps que réfléchir. Et finit par convaincre que si les pièges tendus sont nombreux, ils demeurent souvent assez grossiers une fois qu’on a appris à les repérer.
Yves Bergeras,
Le Droit, 12 août 2006