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24 janvier 2016

Le Devoir, 4 novembre 2009

Livre référence:
La mentalité américaine

Entrevue avec Howard Zinn

Barack Obama, un président traditionnel? Certes, comme beaucoup de ses concitoyens, Howard Zinn, historien et figure emblématique du mouvement des droits civiques et de l’opposition à la guerre du Vietnam dans les années 1960 et 1970, voit dans le nouveau président une grande amélioration par rapport à son prédécesseur.

Toutefois, «malgré le discour enthousiaste qui a accueilli sa victoire, Barack Obama est un président démocrate traditionnel, soutient l’intellectuel de gauche de 87 ans. Il s’insère bien dans la tradition politique américaine, commune aux deux partis, qui est fondée sur deux principes: premièrement, que les États-Unis doivent étendre leur pouvoir au-delà des frontières, autant que les capacités militaires le permettent. Et deuxièmement, que le pouvoir du gouvernement doit rester au service des classes aisées.»

Dans un entretien téléphonique, M. Zinn donne à nos questions des réponses structurées, comme le professeur qu’il a été pendant des décennies. D’abord au Spelman College, à Atlanta, qu’il a dû quitter en raison de ses liens avec le Student Nonviolent Coordinating Committee, une organisation luttant contre la ségrégation raciale, puis à la Boston University.

Collaborateur de Noam Chomsky pour la publication des Pentagone Papers sur le Vietnam, Howard Zinn est un pourfendeur de l’unanimisme véhiculé par une certaine «mentalité américaine», qui veut que tous les citoyens aient des intérêts concordants. C’était d’ailleurs le titre d’une conférence qu’il avait prononcée à Montréal l’hiver dernier et qui a été publiée récemment sous forme de plaquette.

Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il a notamment publié en 1980 une Histoire populaire des États-Unis, qui s’est vendue à deux millions d’exemplaires. «À ma grande surprise», dit-il, ajoutant que bon nombre d’enseignants utilisent cet ouvrage dans leurs cours.

Howard Zinn reconnaît que le Parti démocrate s’est montré plus réformiste que la formation adverse au cours du XXe siècle, mettant en oeuvre par exemple, le New Deal dans les années 1930 et la législation sur les droits civiques dans les années 1960.

Pour autant, Barack Obama ne rompt pas avec «le système capitaliste, qui veut que le profit des grandes sociétés continue de donner le ton à l’économie», juge Howard Zinn, qui prédit: «Il va peut-être réaliser quelques changements dans le système de santé, mais il n’ébranlera pas le pouvoir des compagnies d’assurances, qui est au coeur du système. Je doute qu’il offre au peuple le système public qu’il souhaite et qui existe dans d’autres pays.»

Fils d’émigrants juifs européens, M. Zinn a travaillé comme ouvrier et organisateur syndical dans un chantier naval à New York avant de s’enrôler comme bombardier dans l’aviation pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ces origines modestes et ce parcours militaire ont façonné ses convictions pacifistes et de gauche.

Comme le Vietnam

Les États-Unis s’embourbent en Afghanistan comme ils l’avaient fait au Vietnam. «L’Afghanistan est un intéressant exemple du fanatisme américain, fait remarquer M. Zinn, ajoutant que plus de guerres ont été initiées par des présidents démocrates que républicains. Quand on réalise qu’on fait fausse route, on va deux fois plus vite. Comme dans la chanson Waist Deep in the Big Muddy de Pete Seeger. C’est très troublant. Nixon avait étendu la guerre du Vietnam au Cambodge et Obama semble vouloir étendre celle d’Afghanistan au Pakistan.»

M. Zinn constate l’absence d’un mouvement pacifiste comparable à celui qui avait changé le cours des choses à l’époque du Vietnam, mais note qu’«une majorité d’Américains s’opposent aujourd’hui à la guerre en Irak. Il existe un réservoir d’opposition à la politique étrangère des États-Unis. Nous voyons de petits groupes isolés dans tout le pays, mais le potentiel pour un mouvement fort existe».

La Deuxième Guerre mondiale était une «guerre juste». C’est avec enthousiasme qu’Howard Zinn s’est engagé dans une aventure qui l’a mené à participer, en 1945, au bombardement de la ville française de Royal, où de nombreux civils ont péri. C’est plus tard, en lisant un livre sur Hiroshima, qu’il a pris conscience de l’horreur des bombardements et des dommages qu’on n’appelait pas encore «collatéraux».

«Aujourd’hui, il ne peut y avoir de « guerre juste », affirme M. Zinn. Nous avons atteint un point où la technologie fait de la guerre un massacre massif de civils. Je ne dirais pas que je m’oppose à toute action militaire. De petites actions bien ciblées peuvent empêcher des désastres à grande échelle, mais je ne pense pas que la guerre peut régler les problèmes. La Seconde Guerre mondiale a fait 50 millions de morts, mais il n’en est pas résulté un monde significativement meilleur. Il y a encore des empires militaires.»

Le fascisme

Aurait-il été possible d’arrêter le fascisme allemand sans déclarer la guerre à Hitler? Howard Zinn admet que la question est difficile à trancher. «Le fascisme allemand n’aurait pas duré si nous avions été prêts à nous engager dans une résistance prolongée, car les empires perdent le contrôle à mesure qu’ils s’étendent, dit-il après réflexion. Nous disons qu’il fallait livrer cette guerre pour mettre fin à un génocide, mais je vous donne une statistique intéressante: 99 % des juifs qui sont passés par les camps de concentration sont morts. La guerre n’a permis d’en sauver que 1 %.»

Tous les pays tendent à promouvoir le patriotisme dans l’enseignement. «C’est peut-être encore plus vrai aux États-Unis, parce que ce pays a été le plus puissant du XXe siècle», note Howard Zinn, qui a fait oeuvre de pionnier en présentant une histoire plus inclusive de son pays. Il n’a pas été le seul: «À partir des années 1960, des historiens américains ont commencé à porter leur regard sur les Noirs, le mouvement ouvrier, les autochtones et les femmes.»

Claude Lévesque
Le Devoir, 4 novembre 2009

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