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2 juin 2006

Vadeboncoeur et l’histoire renversée

Le 24 avril dernier, dans The New Yorker, l’écrivain britannique Martin Amis entrait, pour les besoins d’une nouvelle, dans la peau de Mohammed Atta, l’artisan de la tragédie du 11 septembre 2001. Le terroriste aurait été un musulman apostat qui n’aurait pas cru au paradis mais à la réalité absolue et maternelle de la mort.

Voilà une interprétation très audacieuse, très occidentale et surtout très empathique que fait un Anglo-Saxon des songes présumés du plus célèbre des terroristes musulmans. La nouvelle d’Amis indiquerait-elle la naissance prochaine du sentiment universel, laïque et apolitique de l’omniprésence inéluctable de la mort violente dans un monde où les rivalités politiques, culturelles et religieuses paraissent de plus en plus inextinguibles ?

En tout cas, elle pourrait illustrer une très belle idée de Pierre Vadeboncoeur : «Ce n’est plus nous qui voguerons vers l’avenir. C’est l’avenir qui s’avancera vers nous, en sens contraire du temps. Comme dans Macbeth, la forêt sera en marche. La dynamique de l’histoire se renversera.»

Pour aboutir à cette affirmation surprenante, sagace et poétique, Vadeboncoeur a consacré un troisième essai à la critique de l’impérialisme américain en soulignant, cette fois, que la guerre menée par les États-Unis en Afghanistan et en Irak a multiplié d’une manière faramineuse, méthodique et technologique l’horreur qui était jusque-là le propre du terrorisme, cette arme des pauvres, cette violence aveugle et hasardeuse.

Comme les essais précédents, L’Injustice en armes constitue un recueil d’articles. Vadeboncoeur a d’abord publié ces textes sur l’injustice américaine dans Le Couac et quelques autres périodiques québécois. Pour expliquer le renversement historique effarant qu’il appréhende, il signale qu’une guerre contre le terrorisme est une guerre contre l’invisible.

Les terroristes n’affrontent jamais l’armée directement, donc l’armée est condamnée à exercer une terreur gratuite et à encourager ainsi les terroristes. C’est ce principe qui permet à l’essayiste québécois de soutenir que, dans la guerre que Bush se targue de livrer contre le terrorisme, il n’y a «ni vainqueurs, ni vaincus, mais seulement des victimes».

Vadeboncoeur tient à préciser qu’en Irak ces victimes, qui se chiffrent à 100 000, sont essentiellement des civils irakiens. Il rappelle qu’il faut ajouter à cela le très grand nombre d’enfants morts à cause du blocus économique imposé à l’Irak durant plusieurs années.

Que «la course à l’absurdité» entreprise par la Maison-Blanche risque de conduire l’humanité au désastre, c’est l’idée qui hante Vadeboncoeur. Lorsqu’on sait que Bush a envisagé d’opposer le veto présidentiel à la loi américaine contre la torture, comment pourrait-on reprocher une angoisse injustifiée à un solide dialecticien qui, malgré les progrès de l’altermondialisme, voit s’avancer vers lui l’avenir de la terreur ?

Michel Lapierre, Le Devoir, 3 et 4 juin 2006

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