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24 janvier 2016

Le Devoir, 21 novembre 2009

Livre référence:
Révolutionnaires du Nouveau Monde

Essais – Un anarchiste breton en Amérique

À retenir
RÉVOLUTIONNAIRES DU NOUVEAU MONDE
Michel Cordillot
Lux Éditeur
Montréal, 2009, 216 pages

En 1885 et en 1888, Édouard David, exilé blanquiste qui a fui la répression après l’échec de la Commune de Paris, lance des feuilles révolutionnaires en français au coeur de la Pennsylvanie, où des immigrés de son pays travaillent dans les mines. L’un deux, l’anarchiste Louis Goaziou (1864-1937), fera l’impensable: rapprocher la gauche d’origine européenne de la vie populaire américaine et des immigrés francophones rétrogrades venus du Québec.

Jeune journaliste aux idées avancées, Goaziou fit ses premières armes dans une des publications de David. Il apparaît comme le chef de file de la tendance très méconnue que Michel Cordillot, professeur à Paris-VIII, nous fait découvrir dans son livre, Révolutionnaires du Nouveau Monde. Il s’agit d’une «brève histoire du mouvement socialiste francophone aux États-Unis (1885-1922)».

La naissance du mouvement s’appuyait sur la présence, à la fin du XIXe siècle, de quelques milliers de mineurs francophones (français et belges) dans la région de Pittsburgh. Né en Bretagne dans une famille pauvre et illettrée, Goaziou, dont le breton était la langue maternelle, fut l’élève d’une école catholique, mais, à 16 ans, l’adolescent, qui avait perdu la foi, décida de gagner l’Amérique.

Comme le souligne Cordillot, le Breton s’aperçoit, aux États-Unis, qu’il est aussi francophone! Son éducation religieuse et sa passion pour la vie intellectuelle (il fonde plusieurs journaux d’idées, dont le plus durable sera L’Union des travailleurs) lui permettent de comprendre la première en importance des communautés ouvrières francophones de son pays d’adoption : les immigrés canadiens-français, présents surtout en Nouvelle-Angleterre.

Leur catholicisme, souvent farouche, les rend hostiles aux idées de gauche que défendent des ouvriers américains d’origine européenne. Ces derniers, en général anticléricaux, sinon incroyants, répondent la plupart du temps à leurs adversaires par le mépris.

Mais Goaziou se montre accommodant avec les immigrés aux racines québécoises. Il leur rappelle que le Christ repoussait «l’inégalité des conditions humaines». Il effectue une percée chez eux en parcourant la Nouvelle-Angleterre et parfois se rend même à Montréal, où il rencontre notamment le socialiste Albert Saint-Martin.

Aux États-Unis, l’anarchiste d’hier se fond peu à peu dans le mouvement ouvrier de langue anglaise, moins doctrinaire que ses équivalents européens. Parfois anti-intellectualiste, ce courant reflète une Amérique aux racines protestantes, où un déisme diffus et moralisateur se mêle à un matérialisme bon enfant.

Historien remarquable, Cordillot aurait pu scruter davantage le triste effet sur Goaziou du rouleau compresseur de la culture états-unienne de masse. Opposée à elle, la culture catholique issue du Québec, celle de Kerouac, si humble et si obscurantiste fût-elle, avait, dans sa vaine résistance, quelque chose de poignant.

Michel Lapierre, Le Devoir
21 novembre 2009

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