Le Devoir, 21 et 22 novembre 2009
Livre référence:
Robert Rumilly
Dis-moi d’où tu viens…
Personne ne va nier que l’ADQ, qui a formé il n’y a pas si longtemps l’opposition officielle au Parlement de Québec, agonise sur la place publique. On a de plus en plus l’impression que ses jours sont comptés. Ce parti, pourtant, a représenté pour une partie de la population l’espoir de voir ses opinions entendues et défendues, et peut-être même de changer la société dans le sens de ses idées.
L’ADQ est un parti de droite. Les plus brillants de ses membres parlent davantage de centre droit pour échapper à l’étiquette d’une droite étroite et tellement conservatrice qu’elle rebute au commun des mortels.
On fait toute sa vie le tri de ce qu’on veut préserver de l’oubli. La vie n’a pas la même urgence d’être vécue quand on vieillit et les moments de calme deviennent des moments précieux qui permettent de mettre en perspective tout ce qu’on a emmagasiné le long de la route. Et puis, un bon matin, au détour d’un événement qui paraissait anodin, le puzzle tombe en place.
Ça vient de m’arriver. Tout a commencé quand j’ai acheté le livre que Jean-François Nadeau a consacré à Robert Rumilly*. Je me demandais encore pourquoi je l’avais acheté quand je me suis demandé si un seul jeune Québécois savait qui était Robert Rumilly. La réponse est facile. Il est probable que non. Nous avons le don au Québec d’effacer des plans complets de notre histoire et de prétendre l’ignorance quand nous vivons les conséquences de ces oublis volontaires. Ce qui a permis à certains de penser qu’ils avaient inventé quelque chose de neuf en inventant l’ADQ. Erreur. Car le vieux fond conservateur de droite et parfois d’extrême droite des Québécois, entretenu par l’élite canadienne-française aussi bien que par l’Église catholique, a souvent trouvé un terreau propice à son développement ici même.
La première fois que moi j’ai entendu le nom de Robert Rumilly, j’avais sept ou huit ans. J’ai assisté ce jour-là à la plus grosse chicane de famille entre ma grand-mère Marie-Louise et mon grand-père, son mari. Ma grand-mère n’élevait pas souvent la voix, mais ce jour-là, elle a hurlé. Si je m’en souviens, c’est que sa colère m’avait fait peur. Mon grand-père venait de mentionner le nom de Robert Rumilly parce qu’il racontait à ma grand-mère une assemblée à laquelle il avait assisté et où Camilien Houde était l’orateur principal. Puis il a parlé de Robert Rumilly et ma grand-mère a hurlé : « Je t’interdis de prononcer ce nom-là dans ma maison… Jamais ! Tu entends ? »
Je ne sais pas comment la dispute s’est terminée. Mais quand j’entendais le nom de M. Rumilly dans les années qui ont suivi, c’est cette scène qui me revenait à l’esprit. J’ai donc commencé la lecture du livre de M. Nadeau en me disant que c’était une façon de retrouver encore un peu plus Marie-Louise et de comprendre enfin ce qu’elle avait tant à reprocher à cet homme qui était arrivé de France en 1928 et qui en a mené large dans les coulisses de la politique québécoise, jusqu’à sa mort en 1983. Je partais aussi à la recherche d’une époque de notre histoire qu’on connaît trop mal et qui ne s’apprend pas à l’école. Je me disais que pour comprendre l’ADQ, il fallait savoir d’où toute cette pensée était partie et comment elle a réussi à écraser systématiquement tout désir de liberté chez les Québécois.
La droite québécoise, on sait que ça a existé. On sait que Maurice Duplessis n’était pas un homme de gauche et que le clergé catholique couchait avec la droite un peu partout dans le monde et qu’il ne brillait pas par sa différence au Québec. Quel a été le rôle de Robert Rumilly dans tout ça ? Et de Duplessis ? Et de Camilien Houde ? Ces hommes qui ont été des leaders vénérés pendant si longtemps ici.
On dit souvent qu’il faut savoir d’où on vient pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Je pense que c’est vrai. Il est essentiel de décortiquer les politiques de droite de Stephen Harper, car son étoile, au lieu de pâlir, continue à briller dans un ciel de plus en plus bleu. Au moment où le Parti libéral est en déroute partout au Canada et où l’ADQ se vide de son sang, le livre de Jean-François Nadeau nous révèle un immense pan de notre histoire. Probablement pas le plus reluisant, mais certainement l’un des plus importants pour comprendre le présent.
Le Québec, à compter de la Révolution tranquille, nous est assez familier. Ce qui précède cette époque déterminante et que certains continuent d’appeler la « Grande Noirceur » mérite qu’on y jette un coup d’oeil.
Je sais pourquoi Marie-Louise ne voulait pas entendre le nom de Robert Rumilly dans sa maison. Elle qui avait mis Dieu et les curés à la porte ne voulait certainement pas faire entrer un homme de droite dans sa demeure. Marie-Louise était une femme de gauche, même si elle n’avait aucune idée de ce qu’était une femme de gauche, elle était révolutionnaire bien avant son temps et bien trop brillante pour Robert Rumilly, qu’elle aurait appelé un « pisse-vinaigre ».
* Robert Rumilly, l’homme de Duplessis, Jean-François Nadeau (Lux éditeur, 2009)
Lise Payette
Le Devoir, 21 et 22 novembre 2009