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24 janvier 2016

Le Devoir, 18 avril 2008

Livre référence:
L’éthique du vampire

La loi C-484 et les Afghanes

Je sais, vous vous dites : « Où est-ce qu’elle s’en va avec ses gros sabots ? Qu’est-ce qu’un projet de loi canadien a à voir avec les Afghanes ? » Ç‘a à voir avec la vie des femmes. Je me suis posé la même question quand j’ai vu le président des médecins spécialistes, le Dr Gaétan Barrette, se lever en défenseur des droits des femmes devant la menace de recriminalisation de l’avortement que comporte le projet de loi C-484 de Stephen Harper, qui a déjà franchi le cap de la deuxième lecture à la Chambre des communes.

Je me suis demandé où il s’en allait avec ses gros sabots. Qu’un personnage aussi important que le Dr Barrette prenne la défense des femmes dans ce dossier-là n’allait certainement pas passer inaperçu. Il était tentant de penser qu’il était un héros qui allait risquer sa réputation sur la place publique pour améliorer le sort des femmes. Un homme féministe, peut-être ? Puis, bien sûr, en réfléchissant, j’ai compris qu’il défendait d’abord les membres de sa corporation, c’est-à-dire les médecins, qui font parfois des avortements et qui risqueraient de nouveau d’être poursuivis devant les tribunaux si la loi C-484 était adoptée. Ça ne lui enlève pas son mérite, mais disons que ça replace les enthousiasmes.

Le sort des femmes n’est pas la première préoccupation du Dr Barrette. Il défend d’abord ses membres. C’est normal. Qu’il le fasse publiquement en apostrophant les libéraux de Stéphane Dion qui se comportent comme des lâches dans ce dossier-là, c’est tant mieux pour les femmes. Nous avons besoin de toute l’aide que nous pouvons trouver.

Les pauvres femmes afghanes
Que de crimes on a commis en leur nom, dirait le poète. « Il faut sauver les femmes » a servi à la mobilisation des troupes et est devenu la justification d’une bonne partie de la guerre en Afghanistan. Là aussi, on s’est servi de la cause des femmes pour faire croire à une guerre juste et complètement différente de toutes les autres, disaient-ils. Il suffit de se souvenir des images que les journaux et les télévisions ont lancées à la face du monde, ces femmes couvertes de burqas, dont on allait changer la vie et à qui on allait rendre la liberté.

Les femmes afghanes ont dû être très étonnées de savoir que la plus grande puissance militaire du monde les bombardait pour leur bien. Cette phrase, je l’ai trouvée dans L’Éthique du vampire (Lux éditeur), un livre formidable qui raconte le bourbier afghan en remontant loin dans le temps pour nous permettre de comprendre vraiment les enjeux dans ce coin de la planète. L’auteur, Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques à l’UQAM, ne ménage personne : ni les Américains, ni les Russes, ni les Canadiens.

Le ministre Maxime Bernier aurait dû lire ce livre avant d’aller distribuer de petits gâteaux Joe Louis aux soldats canadiens, qui ne peuvent pas ne pas se demander ce qu’ils font là-bas. Comme il aurait pu consulter Michèle Ouimet, journaliste à La Presse, avant de laisser entendre que le gouverneur de Kandahar devrait démissionner. Elle aurait pu lui fournir la liste complète des noms de ceux qui entourent Hamid Karzaï et qui devraient partir. Et peut-être même leur numéro de téléphone.

Francis Dupuis-Déri décortique la campagne de marketing menée par la Maison-Blanche afin de faire accepter cette « guerre de pacification », comme on l’appelle. Il explique longuement la situation des femmes prises dans cette guerre qui ne semble pas avoir de fin et qui a fait tellement de victimes, tant civiles que militaires, qu’on a presque cessé de les compter.

Le sort des femmes afghanes a-t-il changé ? Il est probablement pire qu’avant. Dupuis-Déri écrit ceci : « Depuis la légendaire guerre de Troie menée par les Grecs pour reprendre la belle Hélène et le rapt des Sabines par les fondateurs de Rome, on sait que les hommes livrent des guerres pour les femmes, c’est-à-dire pour s’en emparer à leur profit. »

Les États-Unis se sont donné bonne conscience en prétendant sauver les femmes afghanes. Ce sont les féministes occidentales qui avaient dénoncé le sort fait aux femmes afghanes par les talibans qui, eux, étaient financés et armés par les gouvernements américains et français. On l’a peut-être oublié…

La lecture de ce livre est nécessaire. Il se lit comme un roman et permet de comprendre ce qui a mené au bourbier afghan que nous connaissons et à l’incroyable marketing de guerre dont nous sommes victimes.

Les femmes devraient en faire leur livre de chevet. Elles sont si souvent l’objet de manipulation qu’il serait bon de savoir comment « ils » s’y prennent. Pour ma part, je vais l’offrir au général Rick Hillier. Ce sera une bonne lecture de retraite. Ça lui ouvrira peut-être enfin les yeux.

Lise Payette
Le Devoir, 18 avril 2008

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