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26 janvier 2019

«Le choc des utopies»: pour une stratégie du «contre-choc»

En 2017, l’ouragan Maria fit entre 3000 et 5000 victimes et causa des dommages estimés à 2 milliards de dollars à Porto Rico. Terrible bilan pour une île déjà fragilisée par sa dette et par sa dépendance aux importations alimentaires et aux combustibles fossiles. Pis encore, le désastre, appelé à se répéter à cause du dérèglement climatique, a révélé une nouvelle forme pernicieuse d’égoïsme néocolonial.

Dans ce reportage concis et accessible, la journaliste Naomi Klein scrute un épisode contemporain du « capitalisme du désastre ». L’auteure notamment de No Logo montre que le passé récent de l’île et les ravages causés par l’ouragan ont rendu Porto Rico vulnérable à la « stratégie du choc ».

La militante canadienne a défini cette « stratégie », non sans essuyer quelques critiques, dans un ouvrage paru en 2007. Klein y avance que les « capitalistes du désastre » profitent délibérément des catastrophes pour « mettre en place un programme radicalement favorable au secteur privé ». Porto Rico est l’application « la plus grossière » de cette « stratégie » depuis Katrina et La Nouvelle-Orléans, estime la journaliste.

Klein affirme qu’une ploutocratie soutenue par Ricardo Rosselló, le gouverneur de l’île, tente d’exploiter le chaos post-Maria pour instaurer la privatisation des services publics et des allégements fiscaux réservés aux investisseurs étrangers. Pour ces libertariens, Porto Rico ravagé incarne un espace « vierge » à coloniser au nom du profit.

Deux visions s’opposent

En parallèle, Klein montre que s’organise, entre autres au sein du réseau JunteGete, un regroupement de communautés autogérées. Dirigées par des locaux, elles permettent de survivre et d’envisager l’avenir sans l’aide des États-Unis, alors que Porto Rico constitue un protectorat américain. Ces regroupements voient en Maria un « professeur » menant à « une économie plus saine et plus démocratique » fondée sur le partenariat, les énergies renouvelables et l’agriculture écologique. Des modèles potentiellement transférables dans les pays occidentaux développés, croit Naomi Klein.

Les deux visions qu’elle oppose se heurteront inévitablement, car l’enjeu est de taille : « À qui appartient Porto Rico ? Aux Portoricains ou aux gens de l’extérieur ? […] À qui revient le droit d’en décider ? » demande-t-elle. La militante choisit son camp et on la suit : elle ne fait preuve d’aucune sympathie envers les tenants de la « stratégie du choc » et témoigne de l’empathie à l’égard des communautés locales qu’elle a visitées en janvier 2018. Elle versera d’ailleurs les droits du livre au réseau JunteGente.

Certes, la démonstration de Naomi Klein gomme les relations complexes entre les secteurs privé et public, lesquelles s’avèrent plus troubles qu’elle le suggère. Cela dit, elle nous sensibilise à la réalité portoricaine. Elle nous fait passer de la rage, devant les visées opportunistes et cyniques des investisseurs étrangers, à l’espoir d’un pacte communautaire et d’un avenir fondé sur la juste part. Utopie ? Offrons-nous le rêve d’un monde meilleur !

Sébastien Vincent, Le Devoir, 26 janvier 2019

Photo: Guillaume Levasseur / Le Devoir

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