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24 janvier 2016

Le Canard enchaîné, 6 janvier 2010

Livre référence:
Les États-Désunis

Le retour d’un grand livre

Les États-Désunis par Vladimir Pozner
Lux Éditeur

Écrivain, chroniqueur, scénariste et peintre des mots, Vladimir Pozner est riche de tous ces talents. Son livre a connu le succès en son temps, à la fin des années 30, puis a été salué partout, après la Seconde Guerre mondiale, avant d’être récemment réédité, une fois encore, au Québec et diffusé aujourd’hui en France.

Au fil des pages, en quelques phrases et petites touches Pozner raconte l’Amérique de la Grande Dépression de 1929, et met en scène ceux qui l’ont vécue comme des braves et des malheureux, ou comme des salauds.

Ouvriers sans espoir, mineurs en révolte, flics brutaux, briseurs de grève armés de l’agence Pinkerton et des autres officines mobilisées contre les syndicats (100 000 salariés!), magistrats ignobles, Noirs qu’on lynche, citoyens de Los Angeles devenus pasteurs par correspondance, en versant 10 dollars… des milliers d’Américains hantent les pages de ces États-Désunis. Tous décrits dans un montage littéraire, réalisé par un écrivain qui fut aussi scénariste réputé, à Hollywood.

C’était la Grande Amérique d’avant avant-hier. Mais on lui découvre parfois une forte ressemblance avec celle d’aujourd’hui. « Tout Américain, si misérable soit-il, écrit Pozner, en critiquant cette idéologie du vainqueur, peut devenir milliardaire ou président, s’il est économe, travailleur, pieux, etc. Si vous êtes pauvre et vieux, ou jeune et sans travail, ne vous en prenez qu’à vous-même. Il fallait travailler, faire des économies. D’où la conclusion naturelle: un homme pauvre, et singulièrement un chômeur, n’est qu’un raté, et l’allocation de chômage est un acte de charité. » Il ne pensait pas autrement, l’idiot qui, à Paris, affirmait récemment qu’un Français avait raté sa vie si, à 50 ans, aucune Rolex n’étincelait à son poignet.

Révolté, révolutionnaire, russe, français et juif, ce diable de Pozner a vécu plusieurs vies et a collectionné des dizaines d’amitiés. Gorki, Blok, Maïakovski, Brecht, Cendrars, Chagall, Bunuel, Aragon, Pasternak, Chaplin, Picasso et bien d’autres l’ont souvent accompagné en célébrant ses oeuvres.

Séjournant à Paris, au temps de notre dernière guerre coloniale, en Algérie, il faillit y perdre la vie. Son livre Le lieu du supplice mit en fureur les terroristes de l’OAS. Une bombe déposée devant sa porte l’envoya à l’hôpital pour un long coma. Mais sans que ces assassins puissent l’en empêcher, une fois rétabli, il écrivit encore.

Claude Angeli, Le Canard enchaîné
6 janvier 2010

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