L’autre histoire des sportifs américains
Désormais référence, l’ouvrage d’ Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, est maintenant doté d’une riche annexe consacrée au sport. Dave Zirin, de l’hebdomadaire The Nation, s’y est collé mais « son » histoire populaire du sport aux États-Unis est, elle, largement axée sur la longue lutte des minorités pour leur intégration à part entière dans un univers blanc, masculin et voué à servir de vitrine à la classe politique dominante puis à de complexes intérêts financiers. Globalement, le sport a, selon lui, toujours été l’instrument de propagande privilégié des politiques pour inculquer les valeurs patriotiques et guerrières aux masses, baignées dans un fond de sauce religieux, assez peu compréhensible pour un Européen.
Nous voici donc embarqués dans un récit morcelé en chapitres thématiques et éléments de documentation bruts qui vont des jeux que pratiquaient les Indiens au moment de la colonisation vers l’ouest à l’avènement du sport spectacle contemporain, superbe paravent à une réalité plus sombre que l’imagerie superbement publicitaire des ligues professionnelles voudrait nous le faire croire. La boxe, les courses de chevaux, l’athlétisme et, très vite, le baseball vont servir de socle à la compréhension d’un système où les indigènes, les Noirs, les femmes, les communistes, les musulmans, puis les syndicalistes et les homosexuels vont devoir non pas faire allégeance, mais littéralement se battre et souffrir pour parvenir à accéder au haut niveau et aux responsabilités. Jesse Owens, Joe Louis, Mohammed Ali, Arthur Ashe, Kareem Abdul-Jabbar, Billie Jean King, Martina Navratilova, côtoient dans les différents récits entrelacés de l’auteur, des athlètes moins connus de ce côté-ci de l’Atlantique.
Ces derniers nous éclairent d’ailleurs davantage sur la façon dont le sport américain a été tenu et influencé dans sa philosophie par des suprémacistes blancs, à l’image d‘Avery Brundage, qui finira sa carrière au CIO après avoir convaincu les États-Unis de participer aux olympiades nazies de 1936, et de vouloir développer le commerce du sport tout en maintenant les athlètes dans un statut amateur fort pratique. Le livre décrypte aussi la peur des dirigeants du sport américain de voir les sportifs s’émanciper des règles profondément injustes qu’ils édictent. Il faut dire que le sport est si populaire et ses intérêts financiers si importants aux États-Unis, qu’il peut vite devenir une tribune politique redoutable. D’où une forme de raideur froide, de méfiance, des dirigeants envers leurs sportifs, considérés comme des vassaux. Les évolutions de la société américaine feront que l’éclosion de sportifs de talent noirs, femmes ou libres penseurs entrera en collision avec le racisme ordinaire, le sexisme ambiant et les combats idéologiques de la seconde moitié du xxe siècle.
C’est d’ailleurs à travers les sports typiquement américains, ceux qui ne franchissent pas les frontières de l’Amérique du Nord, que les parcours de ces sportifs sont le plus révélateurs d’un conservatisme crasse, où l’égalité des chances, qui est censée être le propre du sport, est foulée aux pieds, par ses promoteurs. Lesquels se réclament pourtant des valeurs libérales de la démocratie américaine. De plus, ces mêmes valeurs n’ont pas empêché le dopage organisé ou une casse des corps impressionnante dans une atmosphère hypra-concurrentielle entre les athlètes.
Ainsi, nous entrons dans le détail des sentiments et des revendications de Jackie Robinson, premier joueur noir après-guerre à tenir une batte dans la Ligue majeure et militant courageux pour l’égalité des droits, de Roberto Clemente, également magnifique joueur de baseball portoricain qui viendra en aide à la population du Nicaragua après le tremblement de terre de 1972, en dépit d’une alliance militaire inique entre la dictature et Washington.
Sans tous les citer, des figures émergent, comme celle de Dave Meggyesy, footballeur des Cardinals, engagé dans les mouvements pacifistes des années 1970. Mais aussi des équipes entrées dans l’histoire à contre-courant, telle celles des Miners de la Texas Western (université d’El Paso), la première au « cinq majeur » composé de Noirs à disputer en 1966 un championnat national. Toujours dans le basket, un chapitre est consacré à l’infiltration de la culture du hip-hop dans le basket qui, d’ailleurs, allait sauver la NBA d’un ennui mortel.
Hors des terrains, on trouve aussi des personnages comme Jack Scott ancien footballeur, qui deviendra entraîneur, théoricien d’un sport qu’il voulait plus démocratique en s’opposant aux entraîneurs dirigistes et omnipotents des années 1970. Il travailla à l’implication des joueurs, femmes et hommes, dans les décisions stratégiques et administratives et eut l’occasion de mettre en pratique ses idées quand il fut nommé directeur de l’école des sports d’Oberlin dans l’Ohio.
Enfin, citons Marvin Miller, syndicaliste du puissant United Steelworker dans les années 1960, venu organiser les moyens de pression sur les patrons de franchises pour augmenter les salaires mais aussi modifier des clauses contractuelles qui faisaient des joueurs des pions, transférables à merci, sans qu’ils aient leur mot à dire.
De plus célèbres sportifs ne sortent pas grandis de cette histoire populaire, dont Michael Jordan ou d’autres briseurs de rêves ou de grèves. Certains sont étonnamment absents comme Tiger Woods ou Mike Tyson mais il est vrai que d’autres ouvrages existent à leur sujet.
Olivier Villepreux, Contre-pied, 24 septembre 2017
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