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24 janvier 2016

L’aut’journal, avril 2006

Livre référence:
Petit cours d’autodéfense intellectuelle

L’autodéfense commence par la mathophobie
Pour Normand Baillargeon, la démocratie c’est bien plus qu’un régime politique et la règle de la majorité, car c’est aussi une manière de comprendre le monde et de s’informer sur celui-ci par l’exercice de la « pensée critique et sceptique ». L’ouvrage qu’il a récemment fait paraître, Petit cours d’autodéfense intellectuelle (Montréal, Lux Éditeur, 2005), est en ce sens un véritable petit manuel d’éducation à la citoyenneté, comme un manifeste pour une saine démocratie participative.

À l’ère de l’information, soit du bombardement constant d’« informations et de discours », faire usage d’une pensée critique, c’est d’abord et avant tout résister, se défendre, c’est se prémunir contre la manipulation, la pensée « prédigérée », les lieux communs et les faux arguments. De même, dans le présent contexte de concentration de la presse, de la « numérisation » de l’information et de l’information « jetable », ce petit manuel apparaît éminemment salvateur.

Cet ouvrage, qui plaira à tous, qu’on soit citoyen autodidacte, universitaire, travailleur ou étudiant, se veut un survol des « indispensables outils de la pensée critique ». Dans la première partie, on y aborde les principaux faux arguments de la rhétorique (les paralogismes et les sophismes), soit ces raisonnements qui apparaissent comme rigoureux et logique, alors qu’ils sont en réalité faux. On passe alors en revue les jeux du langage, tels ceux de l’imprécision, la question de la langue de la rectitude politique, de l’équivoque et de l’amphibologie (énoncés à interprétations multiples) ou du jargon pseudo scientifique.

Son exposition repose sur de nombreux exemples contemporains tirés de la vie courante ou des médias québécois. Parmi ces exemples, on trouve cette pièce d’anthologie de l’imprécision : à la question d’un journaliste qui demandait à un ministre ce qu’il comptait faire pour désengorger les urgences à Montréal, celui-ci répondit : « Je vais mettre en oeuvre un plan qui va utiliser au mieux l’ensemble des ressources disponibles pour faire face de la manière la plus efficace possible à ce grave problème. » Par ce travail sur le langage, Baillargeon contribue à pourfendre vigoureusement la « langue de bois » politicienne, cette « novlangue » — l’auteur fait ici parler Orwell — qui, derrière ses « euphémismes, ses pseudobanalités et ses vaporeuses ambiguïtés » n’est trop souvent rien de moins qu’un effort en vue de « défendre l’indéfendable ».

On y aborde ensuite les mathématiques, plus particulièrement les probabilités et statistiques. Toujours présenté d’une manière simple et stimulante, l’exposé de Baillargeon saura plaire même aux plus « mathophobes » des lecteurs. L’exercice est d’autant nécessaire que « nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer complètement les mathématiques, ne serait-ce que parce que nous sommes constamment bombardés de données chiffrées qu’il nous faut comprendre et évaluer ». Par de nombreux exemples bien choisis, on montre alors le mauvais usage et l’emploi frauduleux qui est trop souvent fait des statistiques, par exemple dans les stratégies de vente, les sondages d’opinion et les nombreux médias.

Après avoir passé en revue ces quelques outils conceptuels critiques, la seconde partie de l’ouvrage vise à explorer, dans une visée d’ordre méthodologique, l’emploi de ces outils dans trois domaines précis, soit ceux « de l’expérience personnelle, de la science et des médias ». La préoccupation générale qui guide alors cette partie est celle de savoir distinguer entre une croyance — ce qu’on admet comme vrai sans pour autant que cela puisse être justifié — et un véritable savoir — soit « l’opinion vraie justifiée » — dans ces trois domaines précis. On apprend alors facilement à déceler ce qui tient des « miracles », ce dont on ne peut pas fournir de preuve, de ce qui relève de véritables savoirs, ce dont il est possible d’apporter une preuve.

Compte tenu de l’objectif d’éducation à la citoyenneté critique poursuivi par ce petit manuel, la partie sur les médias constitue peut-être la partie la plus importante, du moins apparaît-elle comme la plus stimulante. On analyse alors le mode de fonctionnement des médias — notamment dans un contexte québécois — et des procédés de désinformation qu’ils déploient. L’ouvrage débouche enfin sur « 31 stratégies pour entretenir une attitude critique par rapport aux médias », ce qui constitue un condensé des principes à respecter pour résister à la désinformation médiatique.

Ce petit manuel apparaît incontournable ; tant est si bien qu’il faut se demander comment se fait-il qu’un tel ouvrage, dans ce format, n’ait pas été publié avant aujourd’hui. Or, en dépit des mérites incontestables de cet ouvrage, on ne saurait non plus oublier qu’au-delà des outils « formels » sur lesquels doit reposer toute pensée critique, l’éducation à la pensée critique passe aussi par l’enseignement de « contenus » qui développent la pensée critique, soit des connaissances contre lesquelles on puisse confronter le réel et le comprendre par delà ce qui est dit sur celui-ci dans les médias d’information. Cela passe par ce dont malheureusement les citoyens sont de plus en plus privés, en raison des « dérives clientélistes et le réductionnisme économique » de nos systèmes d’éducation, soit une bonne « formation libérale ».

Mais cette forme d’éducation désintéressée a depuis longtemps cédé le pas à la formation conditionnée par les seuls objectifs de la rentabilité économique et de la rationalité instrumentale : voyez les dernières réformes au secondaire et au collégial au Québec. Assurément qu’il s’agit là d’un combat qui dépasse le présent ouvrage, mais qui n’en préoccupe pas moins le professeur Baillargeon.
Danic Parenteau
L’aut’journal, avril 2006

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