
«L’antifascisme n’est pas l’affaire de quelques-uns, c’est un combat collectif»
Des militants stéphanois se lancent dans la réalisation d’un documentaire consacré à l’antifascisme en France pour ouvrir des « discussions », pour lutter contre « l’invisibilisation » ou la « déformation » de leur combat dans les médias.
« Siamo tutti antifascisti. » Cent ans après sa création dans l’Italie des années 1920, le cri de ralliement des antifascistes refait surface dans la plupart des manifestations lancées par la gauche. La mouvance a pourtant subi de nombreux coups ces dernières années. Comme la dissolution durant l’été par le gouvernement de la Jeune Garde – dont un des représentants est le député insoumis, Raphaël Arnault – ou du Groupe antifasciste Lyon et environs, il y a trois ans.
Pourtant, l’antifascisme hexagonal ne cesse de se renouveler. Loin d’être uniforme, la mouvance est aussi diverse qu’il y a de groupes, présents dans les grandes villes et dans les campagnes. À Saint-Étienne (42), le comité antifasciste local a pignon sur rue et organise de nombreuses conférences et débats – auxquels a parfois été convié StreetPress comme intervenant.
Le collectif stéphanois souhaite réaliser un documentaire sur l’antifascisme en France « par celles et ceux qui le vivent ». Le projet, financé par une cagnotte solidaire, veut lutter contre leur « invisibilisation » ou la « déformation » de leur combat dans les médias. « L’extrême droite a beaucoup investi les médias et notamment la télévision ces quinze dernières années », constate le comité. Ils indiquent : « Ses militants sont devenus très visibles et plus fréquentables. Nous avons complètement raté le coche. On a ce constat qu’on ne peut pas juste être une espèce de folklore masqué aux yeux du public. »
« L’image, les médias, la communication, c’est un champ de bataille qu’on doit investir pleinement. » Le groupe a déjà une expérience dans la réalisation avec la production d’un film sorti en 2024 sur les Brigades de Solidarité Populaire – des mouvements qui organisaient des collectes et des distributions alimentaires durant le Covid. Les antifascistes avaient d’ailleurs créé à Saint-Étienne une brigade locale avec les Jeunes Communistes. Deux de leurs membres, Yanis et Thomas (1), détaillent à StreetPress les coulisses du projet.
Pourquoi se lancer dans la réalisation d’un documentaire sur l’antifascisme en France ?
Yanis : “Antifascisme” et “antifascistes” sont des mots très connotés négativement. Les seules personnes qui les évoquent le font plutôt pour les descendre sur des plateaux de chaînes d’extrême droite ou à l’Assemblée nationale pour dire que “les fascistes, c’est la gauche” parce que les “antifas” ont empêché un rassemblement de Fafs. Nous, on a besoin de remettre du sens dans ces mots et dans ce combat, de rétablir la vérité sur ce que représente l’antifascisme aujourd’hui. Avec le fascisme et l’extrême droite à nos portes, c’est une nécessité collective de réunir le plus de monde possible, que tous soient antifascistes. Ce n’est pas seulement l’affaire de quelques-uns. C’est un combat qui doit être celui de toutes et tous.
Thomas : Il y a cette envie de mettre en avant ce qu’on fait, d’expliquer et de garder une trace, une mémoire de nos luttes. Parce qu’après avoir fait pas mal de recherches, on constate qu’il y a peu de choses sur le combat antifasciste. En vidéo, ces vingt dernières années, on compte : “Acta non verba”, qui dressait un éventail de l’antifascisme en Europe, “The Antifascists” sur la Suède et la Grèce et, “Antifa, chasseurs de skins”, qui raconte une histoire un peu folklorique. Des bouquins existent, beaucoup sur l’antifascisme républicain après la Seconde Guerre mondiale – qui était même invoqué par des groupes politiques à droite –, mais très peu sur les groupes actuels. Il y a cette idée que, si un groupe antifasciste fait le taf, il a vocation à disparaître. Mais l’histoire du combat disparaît avec.
Yanis : Il y a un côté ingrat dans l’antifascisme. Mark Bray, dans son livre (2), expliquait qu’on ne saura jamais combien de potentiels “Hitler” ont été arrêtés avant de le devenir. C’est là tout le paradoxe de l’antifascisme : les victoires sont souvent invisibles.
En quoi est-ce important de mettre plus en avant l’antifascisme à partir du moment où, en France, nous avons avec Raphaël Arnault un député à l’Assemblée nationale depuis un an qui se revendique de la mouvance ?
Yanis : Cet exemple illustre justement que, dans l’antifascisme, il y a des luttes différentes et complémentaires. On veut montrer l’éventail des luttes. Les groupes et militants n’ont pas toutes et tous la même définition, la même manière de faire : certains s’engagent sur le terrain des élections, d’autres s’orientent davantage vers les mobilisations “autonomes”. Il y a ceux aussi qui se dirigent vers l’associatif. Tout ça fait corps, nous allons dans la même direction.
Thomas : Il faut casser les stéréotypes car même à gauche, les antifascistes sont mal perçus. On associe régulièrement antifascisme et black bloc de manière critique car les gens ne savent pas ce que nous faisons et qui nous sommes. À Saint-Étienne, on a le temps de faire ce type de documentaire car il n’y a pas de menaces fascistes locales. Dans d’autres villes, les mouvements doivent se confronter à des groupes fascistes, et par conséquent le temps de réflexion consacré à leur projet diminue. C’est aussi pour ça qu’il y a des groupes masqués — ça fait partie de la lutte — il ne faut pas le critiquer. Dans le docu, des groupes seront sûrement anonymes. À Saint-Étienne, on a souvent été de ceux qui portaient les communiqués d’union des groupes antifascistes essayant d’amener une voix collective. En plus, pas mal de gens bossent dans la vidéo ou le cinéma dans le comité. Il y a donc une facilité à faire les choses chez nous, avec également un gros tissu de militants associatifs. Autant ne pas rien en faire.
Vous présentez également le documentaire comme un outil pour ouvrir « des discussions nécessaires ». Lesquelles ?
Thomas : Soulever des questions qu’on a en interne ou qui sont mal comprises en externe. Selon les mouvances politiques et les moyens utilisés, il y a des débats sur la question de la violence ou de la représentativité. On veut qu’un groupe puisse diffuser le film dans leur sa et expliquer au public ses actions locales. Ça peut parler plus directement aux gens. Par exemple, les militants pourront expliquer pourquoi ils portent des masques. On sortira de la critique courante sur CNews.
Yanis : Comme je l’ai dit, il faut que toutes les organisations politiques et syndicales, les collectifs et les individus, se mobilisent contre le fascisme vu la situation actuelle. C’est une question centrale, il y a un besoin d’alarmer, c’est une question centrale. Mais restons optimistes ! La majorité des jeunes ont tendance à voter à gauche, plutôt qu’à droite et à l’extrême droite. Les études indiquent aussi que la société ne se droitise pas tant que ça, ce sont plutôt les élites politiques et la sphère médiatique. Ce n’est pas juste de l’optimisme tarte : les élections législatives anticipées en 2024 ont montré que la société pouvait mettre la gauche en première position. Ni la droite, ni l’extrême droite.
Vous financez ce docu via une campagne de dons. Vous avez besoin de combien ?
Thomas : On a mis un premier pallier à 15.000 euros. Beaucoup vont travailler dessus et même si certains peuvent être bénévoles, politiquement c’est toujours étrange de ne pas payer. Il faut au moins qu’ils soient défrayés et bien accueillis. L’argent va aussi servir à monter un décor pour créer des espaces de discussions, des personnes vont bosser sur le tournage, la technique ou la post-prod. Ça va être des mois de travail pour essayer de créer le meilleur rendu possible. Le spectateur lambda, aujourd’hui, a l’habitude de voir des documentaires qualitatifs. Il ne faut pas qu’il y ait de différence entre notre documentaire et ceux qualitatifs pour que la parole ne soit pas desservie. On doit pouvoir toucher un large public.
Yanis : Concernant la date, on veut sortir le documentaire avant les prochaines présidentielles. Sauf si, évidemment, elles sont un peu avancées… Mais l’idée, c’est de le finir en 2026 pour qu’il soit prêt en 2027, afin de servir pédagogiquement la cause.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) « L’Antifascisme, son passé, son présent et son avenir » de Mark Bray, traduit de l’anglais par Paulin Dardel, Pollux, 2024.
Christophe-Cécil Garnier, StreetPress, 5 septembre 2025.
Photo: Justin Ollier — @monsieurj42
Lisez l’original ici.