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6 janvier 2017

Pourquoi l’allocation universelle divise autant la gauche

L’allocation universelle sera sans doute l’une des mesures les plus clivantes des débats de la primaire du PS. Mais pourquoi divise-t-elle aussi radicalement les candidats ?

Un spectre hante la campagne présidentielle de 2017 : celui du revenu universel. De Manuel Valls à Benoît Hamon, en passant par l’écologiste Yannick Jadot, plusieurs candidats de gauche se font les promoteurs de cette allocation inconditionnelle qui permettrait aux personnes démunies de vivre dignement et de libérer notre rapport au travail. Pourtant, alors que son seul énoncé semble prometteur d’avantages indéniables, cette réforme divise profondément la gauche.

La proposition qui sépare Hamon et Montebourg 

Le candidat à la primaire du PS Benoît Hamon s’en est fait le porte-étendard. Face à David Pujadas et Léa Salamé, dans l‘Émission politique le 8 décembre dernier, il a défendu un revenu de base fixé à 535 euros, à partir de 18 ans. Quelques semaines plus tard, lors d’un entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de son portrait, dans son bureau du 11e étage de la Tour Montparnasse, il reconnaît avoir particulièrement travaillé sur ce thème pour préparer l’émission :

“J’avais relu des notes sur des sujets dont je voulais parler, comme le revenu universel, qui n’est pas celui sur lequel je suis le plus convaincant. C’est celui que j’ai le plus bossé.”

Sans doute l’ancien patron du MJS savait-il qu’il ne faisait pas consensus, loin de là, dans son propre camp. Au chapitre du travail, son rival à la gauche du PS, Arnaud Montebourg, plaide ainsi pour “continuer la grande oeuvre de la Sécurité sociale” et “renforcer la place du CDI”, plutôt que pour “un revenu de base d’existence au demeurant insuffisant pour vivre” (voir son “Manifeste économique ‘pour la société du travail’”).

“Une idée d’origine néolibérale”

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont motivé des figures de l’aile gauche du PS, orphelins de la candidature de Marie-Noëlle Lienemann, à soutenir le chantre du “made in France” plutôt que l’ex-ministre de l’Enseignement. “Je ne sais pas pourquoi Benoît Hamon a choisi ce thème du revenu universel, mais ça a été un vrai point de désaccord, explique ainsi Emmanuel Maurel, désormais représentant politique de Montebourg. Au départ c’était plutôt une revendication des libéraux ou de la deuxième gauche. Je n’aurais pas pu signer un texte contenant cette proposition.”

Même son de cloche chez Gérard Filoche, candidat recalé à la primaire du PS, qui n’a pas encore décidé qui il allait soutenir, entre Benoît Hamon et Arnaud Montebourg : “Je ne partage pas l’idée d’un revenu universel : c’est une idée d’origine néolibérale, qui crée une division entre un revenu mendiant et un salaire basé sur une activité.”

Quant à Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, qui observe de loin la primaire, il juge cette idée incohérente :

“Leurs deux formules [à Valls et à Hamon, ndlr] sont au-dessous du seuil de pauvreté, de l’allocation aux adultes handicapés et même du minimum vieillesse ! […] Résultat : ça menace les actuels allocataires de minima sociaux, mais ça garantit un revenu supplémentaire à MM. Bolloré et Dassault. Absurde !”

Effets pervers

Un livre qui vient de paraître permet de mieux comprendre cette critique du revenu universel d’un point de vue de gauche : Contre l’allocation universelle (éd. Lux), dirigé par les sociologues Mateo Alaluf et Daniel Zamora. Retraçant la genèse de ce concept, ils montrent qu’il entretient “un rapport intime avec l’émergence du néolibéralisme”. Dans sa version la plus libérale, l’idée de revenu universel (ou d’“impôt négatif”) a en effet été formulée par Milton Friedman en 1962, et elle visait à remplacer complètement le système de sécurité sociale, et à favoriser les assurances privées. C’est donc d’abord la droite qui s’en est saisie, après le choc pétrolier de 1973.

Pour le collectif de chercheurs à l’origine de ce livre, le revenu universel est par conséquent le signe d’un abandon des conquêtes sociales. Sa logique même procède d’une régression puisqu’elle substitue à la lutte pour l’égalité des mesures de lutte contre la pauvreté. Ils pointent par ailleurs deux effets pervers de l’allocation universelle : d’une part la création arbitraire de “classes de citoyens essentiellement oisifs, dont l’existence générerait assurément des divisions et du ressentiment au sein de la classe ouvrière, au profit d’une politique conservatrice de défense du travail” ; et d’autre part le “risque que les femmes soient incitées à retourner au foyer, c’est-à-dire à se cantonner aux tâches imposées par le modèle patriarcal”. Christine Boutin, connue pour ses positions conservatrices, n’a-t-elle pas d’ailleurs défendu l’idée d’un revenu d’existence ?

Première et deuxième gauche

Pourtant celle-ci a fait son chemin dans la gauche française. La “deuxième gauche”, en particulier, qui aspire à l’autogestion et à la décentralisation, en a fait son leitmotiv – par l’intermédiaire d’André Gorz notamment. Ce n’est ainsi pas un hasard si les deux candidats de la primaire du PS qui la défendent à leur manière – Manuel Valls et Benoît Hamon – sont issus de ce courant historique de la gauche : tous deux militaient en effet dans les années 1990 dans la jeunesse rocardienne. Entre Montebourg et eux, c’est donc en filigrane un combat entre la première gauche – étatiste, centralisatrice et protectionniste – et la deuxième gauche qui se dessine.

Mathieu Dejean, Les Inrocks, 6 janvier 2017

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