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Photo de la pièce «Au coeur de la rose».
26 mai 2024

La vie est ailleurs

« Je suis un pays en quête d’exploit. Et je ne trouve que gens économes et prudents qui craignent le renard au poulailler. » Toute la prose truculente de Pierre Perrault se résume dans cette réplique d’Au cœur de la rose, une pièce à la poésie puissante. Perle rare du répertoire québécois qui fait miroiter le mirage d’un peuple en devenir.

 

À l’affiche du Festival TransAmériques jusqu’à mercredi inclusivement, dans une nouvelle adaptation du metteur en scène Jérémie Niel, la pièce vient d’être rééditée chez Lux. Il s’agit d’une œuvre fascinante, mais peu montée au théâtre depuis sa création il y a 66 ans. Avant la production actuelle, le réalisateur Paul Blouin l’a dirigée à la télévision, puis Jean-Guy Sabourin sur la scène en 1963 ; et plus près de nous, Denis Marleau l’a montée au Rideau Vert en 2002.

L’histoire se déroule dans une île au milieu du fleuve, autour d’une famille qui surveille le phare. Cette famille semble plus perdue et isolée que son île.

Ils sont trois : la Fille (Nahéma Ricci, envoûtante), le Père (Sébastien Ricard, qui joue avec une force tranquille) et la Mère (Evelyne de la Chenelière, bouleversante).

Il y a aussi le Boiteux (excellent Émile Schneider), qui ramasse les œufs des oiseaux sur la grève pour les donner à la famille. Le Père aimerait bien le marier à sa fille… Or, celle-ci ne rêve que de fuir l’ennui et le joug de ses proches. Elle finira par s’éprendre d’un jeune marin, fils du capitaine d’un navire qui s’est échoué durant la tempête (respectivement joués par Marine Johnson et Marco Poulin). Mais une seconde tempête, intérieure et plus forte, s’abattra sur cette famille.

Photo de la pièce «Au coeur de la rose».
PHOTO FABRICE GAËTAN, FOURNIE PAR LE FTA Nahéma Ricci, Evelyne de la Chenelière et Sébastien Ricard

Nuit et brouillard

Créateur obsédé par les non-dits et le brouillard de l’âme, Jérémie Niel a trouvé un diamant noir dans cette fable mystérieuse sur les rapports hommes-femmes, la quête du pays, l’impatience de la jeunesse, la résignation de leurs aïeux… Pour le meilleur et pour le pire.

Sa production est très formelle, esthétique, voire austère. Niel et son équipe ont plongé à fond dans les zones obscures de la psyché humaine. Sa mise en scène s’appuie sur des environnements sonores et visuels très riches, omniprésents.

Les tableaux sont entrecoupés de longs noirs. Les comédiens jouent avec des casques-micros. Après un départ lent, désincarné, le jeu des interprètes et la langue poétique de Perrault décollent au deuxième acte. Et surgit un peu de lumière avec l’arrivée du marin et de son fils, le lendemain de la tempête.

Un travail soigné

Ce parti-pris esthétique fonctionne bien, grâce au travail soigné des concepteurs : les éclairages de Cédric Delorme-Bouchard, les projections de Karl Lemieux, la trame sonore de Sylvain Bellemare et Ariane Lamarre. Ce qui contribue à rendre ce spectacle sensoriel, mais un peu froid. Toutefois, on a l’impression que le metteur en scène abuse de ses images fortes et belles, mais très placées. C’est aussi frustrant de voir jouer les acteurs souvent dans la pénombre, dans la brume, de dos ou en coulisses.

Bref, voilà une proposition belle, mais exigeante ; et qui constitue la pièce maîtresse du volet québécois au FTA cette année.


Luc Boulanger, La Presse, 26 mai 2024.

Photo:  Fabrice Gaëtan, fournie par le FTA

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