La «propagande» radio mise au pilori par Dominique Payette
Il y a cinq ans, dans la foulée de la publication d’une étude controversée sur les radios d’opinion de Québec, des animateurs avaient fait passer un mauvais quart d’heure à son auteure Dominique Payette. Ulcérés, plusieurs auditeurs lui avaient adressé des courriels injurieux. Ironiquement, c’est l’un d’eux qui a inspiré le titre de l’essai où elle revient à la charge pour dénoncer le rôle des «radios-poubelles» dans le «régime de peur» qui plane sur les ondes de la capitale.
«On vous a à l’œil. On va vous écraser comme une punaise.» Cette menace proférée à son endroit par un retraité avait incité l’universitaire à porter plainte à la police. La dénonciation n’avait pas eu de suite pour l’individu, qui avait avoué avoir agi sous le coup d’une impulsion, mais son insulte lui a donné l’idée de s’en servir pour son ouvrage, baptisé Les brutes et la punaise.
«La punaise, c’est moi…» lance-t-elle en début de conversation, dans un café du quartier Montcalm. Du coup, la table est mise pour un nouvel affrontement avec les «brutes» radiophoniques, en convient la principale intéressée, convaincue plus que jamais qu’il «faut cesser d’avoir peur» de leurs discours radicaux. Car pour elle, «le silence fait partie du problème».
«Tout le monde me dit que j’ai du courage. Mais ce n’est pas normal d’avoir du courage pour écrire un texte relativement universitaire. Ce que les gens comprennent mal, c’est que c’est mon travail. Il y a ici, à Québec, un phénomène étonnant, unique dans la francophonie. Je ne suis pas non plus masochiste pas plus que je me sens missionnaire. Il faut se préoccuper de ce ressentiment et de cette colère qui s’expriment à travers cette violence verbale. Il y a quelque chose là qui n’est pas anodin, qu’il ne faut pas sous-estimer. Je tire sur les sonnettes d’alarme, c’est tout.»
Dans son livre, Dominique Payette analyse les prises de position souvent virulentes des radios à l’égard de plusieurs groupes : féministes, musulmans, environnementalistes, assistés sociaux, membres de syndicats et d’organismes communautaires… Extraits de diatribes à l’appui, elle met en relief le genre de traitements subies par les personnes prises pour cibles. «La propagande c’est ça, ne pas s’adresser à la raison, mais aux émotions.»
Démocratie en péril
«Ce qui m’a le plus gênée la dernière fois, c’est l’absence de compréhension des médias montréalais. Ils ne savent pas de quoi il s’agit en fait. Ils pensent que ce sont des clowns, que ce n’est pas sérieux, que ça n’a pas de conséquences. Quand tu vis à Québec, tu t’aperçois que c’est faux.»
Et à son avis, les conséquences sont nombreuses, la principale étant la menace à la démocratie. «Il y a clairement un déficit structurel dans l’information dans la région de Québec à cause des prises de position des radios. Ce que je trouve pitoyable, c’est que le débat politique est réduit à néant parce que les animateurs ne sont pas capables de débattre.»
Par leur pouvoir insoupçonnée, les radios de Québec mine le nécessaire équilibre démocratique dans l’expression des opinions. L’universitaire donne en exemple la campagne électorale municipale de 2007, alors que la candidate du Renouveau municipal, Ann Bourget, partie gagnante, «s’était effondrée» à mesure que les radios soutenaient le candidat Régis Labeaume. De la même façon, poursuit-elle, le chef de Québec 21, Jean-François Gosselin, doit son ascension à ce même coup de pouce radiophonique. «Qu’ils ne viennent pas dire qu’ils n’ont pas d’influence.»
Comment expliquer aussi, demande l’ancienne mairesse de Lac-Delage, que la région de Québec compte deux fois plus de climato-sceptiques qu’à Montréal, sinon par l’insistance de certains animateurs à nier encore et toujours les études scientifiques. Pour eux, dénonce Dominique Payette, «une expertise, c’est juste une opinion un peu sophistiquée».
«Évidemment, de la même façon que personne ne va vous dire que la publicité l’influence, personne à Québec va dire qu’il est influencé par les radios-poubelles. Pourtant, si la publicité ne marchait pas, ça ferait longtemps qu’on en ferait plus. Je pense que c’est le même principe. Dans cette propagande, il y a une influence qui vient de la répétition, de l’assommoir, et qui va chercher une espèce de ressentiment dans la population et qui l’entretient.»
Ondes publiques
La dénonciation de ces discours est d’autant plus justifiée, estime Mme Payette, qu’ils sont tenus sur «des ondes publiques qui appartiennent à tout le monde». De là à dire que le CRTC et le Conseil canadien des normes de la radiotélévision ont abdiqué face à leurs responsabilités et font preuve de complaisance, il n’y a qu’un pas qu’elle n’hésite pas à franchir.
«La dernière fois, les gens m’ont traité de liberticide. J’ai trouvé ça vraiment dur. C’est probablement la pire insulte qu’on pouvait me lancer, alors que j’ai été journaliste pendant tant d’années et donné la parole à tellement de gens (…). Je trouve terrible qu’on ait perverti cette notion de liberté d’expression alors qu’il y a tant de gens, partout dans le monde, qui se battent pour avoir droit de dire la vérité.»
Dominique Payette sera au Salon international du livre de Québec le samedi 13 avril (de 13h à 14h) et le dimanche 14 avril (de 13h30 à 15h)
Normand Provencher, Le Soleil, 2 avril 2019
Photo: Le Soleil / Patrice Laroche
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