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Portrait photo de James C. Scott juxtaposé à la couverture de son livre, «L'oeil de l'État».
1 août 2024

La grande figure anarchiste James C. Scott est morte

James C. Scott, éminent chercheur en sciences politiques et anthropologie sociale dont l’inclination allait vers l’anarchisme, est décédé ce 19 juillet à son domicile de Durham, Connecticut, à l’âge de 87 ans. Il a notamment contribué aux départements d’anthropologie et d’études environnementales de l’Université Yale, qui a annoncé la nouvelle, jusqu’à sa retraite en 2022. Plus largement, son approche multidisciplinaire lui a valu une audience diversifiée, allant des libertariens de l’Institut Cato aux activistes du mouvement Occupy Wall Street.

 

Né le 2 décembre 1936 à Mount Holly dans le New Jersey, il a grandi dans une famille modeste après le décès précoce de son père, médecin de petite ville. Diplômé en économie de Williams College, il a été profondément influencé par un séjour académique en Birmanie, financé par une bourse Rotary, où il s’est impliqué dans la politique étudiante et a même rédigé des rapports pour la CIA.

De retour aux États-Unis, il a obtenu son doctorat à Yale, puis a enseigné à l’Université du Wisconsin avant de revenir à Yale, où il a passé 45 ans à l’enseignement.

Le plus froid des monstres froids

Il a une première fois marqué les esprits dans son pays avec son ouvrage Seeing Like a State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed (Voir comme un État : comment certains projets visant à améliorer la condition humaine ont échoué, 1998), dans lequel il critique les tentatives rationalistes de planification gouvernementale, depuis les fermes collectives soviétiques jusqu’à la création ex nihilo de Brasilia.

Il met en lumière comment ces initiatives, souvent conçues sans tenir compte de la logique et des besoins locaux, se sont la plupart du temps soldées par des échecs, engendrant parfois une profonde misère humaine. Précédemment, il avait mené des recherches ethnographiques en Malaisie, qui ont donné lieu à Weapons of the Weak: Everyday Forms of Peasant Resistance (Les armes des faibles : les formes quotidiennes de résistance paysanne, 1985).

Il y explore la résistance quotidienne des paysans contre les autorités exigeant l’adoption de l’agriculture mécanisée et le paiement des impôts. Un type de lutte politique qu’il constate souvent négligé par les théories traditionnelles de la lutte des classes. « Je suis arrivé à réaliser que cette forme de lutte en dessous du radar, à dessein, a probablement constitué la majeure partie de la lutte des classes de l’histoire, et c’est pourquoi elle est importante », a-t-il par exemple déclaré en 2017 au Journal of Resistance Studies.

Un penseur largement traduit français

Parmi ses ouvrages traduits en français, La Domination et les arts de la résistance. Fragments d’un discours subalterne (trad. Olivier Ruchet), publié aux éditions Amsterdam en 2009. Paru en 1990 sous le titre Domination and the Arts of Resistance: Hidden Transcripts, il met au jour les moyens subtils par lesquels les groupes opprimés résistent à la domination, de manière souvent imperceptible aux yeux des dominants.

En 2013, paraît chez Lux Éditeur Petit éloge de l’anarchisme (trad. Patrick Cadorette et Miriam Heap-Lalonde), où James C. Scott défend que les actes anarchistes quotidiens sont essentiels à une société démocratique, proposant une réflexion sur l’autonomie, la dignité et le travail. Il encourage la pratique des « callisthéniques anarchistes », des petites insubordinations quotidiennes pour se préparer à de grandes contestations…

Son ouvrage Zomia ou l’Art de ne pas être gouverné (trad. Nicolas Guilhot, Frédéric Joly, ,Olivier Ruchet), paru chez Seuil en 2013, offre une perspective novatrice sur les peuples de Zomia en Asie du Sud-Est, qui ont évité la domination des États en restant volontairement en marge de ceux-ci. Il y reconsidère la vie des peuples des hautes terres, non pas comme primitive, mais comme une adaptation stratégique pour échapper aux contraintes des États centralisés. À travers cette étude, il plaide pour une reconnaissance des formes de coopération sans hiérarchie.

Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, traduit par Marc Saint-Upéry, a été édité par La Découverte en 2019. Il retrace l’émergence des premiers États et les impacts de la domestication sur les sociétés humaines.

En mars dernier enfin, est paru, toujours à La Découverte, L’oeil de l’Etat – Moderniser, uniformiser, détruire (trad. Olivier Ruchet), où James C. Scott critique vivement les initiatives de planification autoritaire à travers un vaste éventail de cas d’étude, qui incluent la foresterie scientifique, l’établissement des premiers recensements et la systématisation des noms propres.

Il explore également les doctrines révolutionnaires de Lénine et les principes d’urbanisme de Le Corbusier, ainsi que la collectivisation de l’agriculture en Union Soviétique et les politiques de villagisation en Tanzanie et dans d’autres régions. L’auteur soutient que ces projets de planification, bien qu’ayant pour but d’améliorer la société, se traduisent par une dégradation et une asphyxie du monde physique et social.

Son dernier ouvrage, In Praise of Floods: The Untamed River and the Life It Brings (Éloge des inondations : le fleuve sauvage et la vie qu’il apporte), doit paraître en février 2025.


Hocine Bouhadjera, Actualitté, 1er août 2024.

Photo: Yale University

Lisez l’original ici.

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