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11 octobre 2022

La France démontre «un logiciel diplomatique dépassé, qui n’a pas su s’adapter»

Quel rôle les ambassades de France en Afrique jouent-elles dans la crise actuelle des relations entre les autorités françaises et le continent ? Après avoir longuement enquêté sur le sujet, le journaliste Michaël Pauron, l’un des responsables du site Afrique 21, signe un ouvrage intitulé « Les ambassades de la Françafrique : l’héritage colonial de la diplomatie française ». Le livre, qui est publié dans la collection Dossiers noirs dirigée par l’association Survie, décrit au travers de nombreux exemples les errements de la politique africaine de la France sur le terrain.

 

RFI : Dans les ambassades de la Françafrique, vous décrivez une forme de morgue, d’arrogance, qu’on retrouve sur le terrain au sein du corps diplomatique français. C’est un type de comportement qui se manifeste, dites-vous, avec les employés locaux des ambassades, dans les rapports de ces ambassades avec la presse, dans la façon même dont certaines ambassades voient leur rôle ?

Michaël Pauron: Effectivement. J’ai assez vite compris que les diplomates français venaient d’une certaine élite, avaient un certain profil, et probablement une certaine vision du continent africain qui est sans doute liée à l’histoire de la France avec ses anciennes colonies. C’est donc pour ça que je parle d’« héritage colonial de la diplomatie française ». Je pense qu’aussi bien l’administration dans sa structure, c’est-à-dire dans la manière dont elle fonctionne, que les diplomates sur le terrain, ont gardé une certaine image de l’Afrique et des Africains, qui ressurgit ensuite dans leur rapport aux Africains et à l’Afrique.

Un logiciel diplomatique dépassé, finalement ?

Oui, un logiciel diplomatique dépassé, ou en tout cas qui n’a pas su encore s’adapter à la nouvelle période que l’on vit. On le voit aujourd’hui avec les manifestations contre la politique française en Afrique.

L’une des parties de votre ouvrage traite d’un changement qui a bel et bien eu lieu dans le fonctionnement des représentations françaises en Afrique, c’est la privatisation des systèmes de délivrance des visas, une sous-traitance qui est très mal perçue par les populations ?

Oui, à différents niveaux. Si dans un premier temps il y avait beaucoup de plaintes de files d’attente devant les consulats, et que l’arrivée de ces sociétés privées –qui ne donnent pas le visa mais qui gèrent tout ce qui est la partie administrative, c’est-à-dire les dossiers, la prise des empreintes digitales, des données biométriques- a dans un premier temps réglé ce problème de bouchons dans les consulats, ce qu’on entend aussi, c’est beaucoup de plaintes sur les coûts, puisque ces entreprises facturent leurs services, et cette facturation est allée directement peser sur la bourse des Africains.

Le deuxième point, c’est le manque de communication directe avec le consulat lorsqu’il y a un refus. Aujourd’hui, ces consulats se cachent derrière la société privée, qui transmet ensuite au demandeur. Le demandeur, quand il se retrouve avec un dossier pour lequel on lui dit que des pièces sont inexactes, il ne sait pas vers qui se retourner pour éventuellement améliorer son dossier. Il existe des recours, mais des recours qui, de l’aveu même de certains ambassadeurs, sont quasiment inaccessibles pour les Africains.

Est-ce qu’on ne peut pas vous reprocher tout de même de loger tous les diplomates français à la même enseigne ? Est-ce qu’aux côtés de diplomates qui souffrent de ce « conditionnement colonial de l’esprit » que vous décrivez dans votre livre, il n’y en a pas d’autres qui cherchent à rénover les relations franco-africaines ?

Alors oui, effectivement, je dis souvent que si ce livre existe et s’il a été publié, c’est parce que certains diplomates ont accepté de me parler – souvent anonymement parce qu’on est dans une administration où c’est difficile de faire carrière quand on critique sa propre maison. Donc, ces diplomates qui ont accepté de me parler souhaiteraient rénover ces relations. Ce n’est pas simple, parce que déjà l’administration en elle-même a du mal à changer son logiciel, et ensuite parce que je pense que les directives qui viennent d’en haut sont de demander aux diplomates d’appliquer la politique française. Donc si la politique française partant du haut ne change pas, c’est difficile pour les diplomates d’appliquer une autre politique.

Mais effectivement je ne veux pas généraliser en disant que tous les diplomates français qui sont en Afrique sont sur ce logiciel et ont des comportements inappropriés. Certains essayent de changer les relations. Je pense d’ailleurs que de plus en plus il y aura des voix qui s’élèveront contre ces comportements [inappropriés].

Est-ce que par ailleurs le travail des ambassades françaises en Afrique ne souffre pas des rapports de force qui existent entre les diplomates, les militaires, les financiers ?

Oui, effectivement, on l’a vu très clairement au Sahel, où petit à petit avec les crises successives au Mali etc., la diplomatie militaire a pris le pas sur la diplomatie classique. Puis on a effectivement cette diplomatie économique qui a pris le pas aussi sur la diplomatie politique. Beaucoup de diplomates interrogés nous le disent, et d’autres ne s’en cachent d’ailleurs pas, ils disent que la diplomatie économique est aujourd’hui plus importante que la diplomatie politique.

Comment décririez-vous les conséquences sur le terrain de ce logiciel diplomatique trop ancien ? Est-ce que les mots d’ordre qui ont été lancés ces derniers jours contre l’ambassade de France au Burkina Faso ont un lien avec tout ce que vous venez de décrire ?

Je pense que c’est une accumulation de choses. Disons que si l’arrogance et le comportement des diplomates français en Afrique n’arrangent rien à la situation, soyons clairs, le fond du problème, c’est d’abord la politique plus générale de la France en Afrique, qui a, elle aussi, un logiciel dépassé et qui doit en changer.

Vous n’êtes pas convaincu par la démarche d’Emmanuel Macron de rénovation de la politique africaine de la France ?

Quand on a vu le voyage d’Emmanuel Macron au Cameroun, la conférence de presse avec Paul Biya qui est au pouvoir depuis 40 ans, je ne suis pas vraiment sûr qu’Emmanuel Macron sera la personne qui changera la politique de la France en Afrique. Je pense que quand la France a des intérêts à défendre elle ne regarde pas à qui elle sert la main.

Vous dénoncez d’ailleurs l’expression « sentiment anti-français » qui a cours à l’heure actuelle et qui, selon vous, laisse penser que cette critique de la politique africaine de la France est irrationnelle.

Oui, je pense que c’est un terme qui est assez facile à utiliser pour faire croire que c’est un sentiment et donc quelque chose d’irrationnel… et qui s’adresse à tous les Français. Je crois qu’il est assez clair que les Africains n’ont pas un sentiment anti-français. Ils ont simplement des critiques, tout à fait légitimes à mon avis, contre une certaine politique de la France… et je pense que cette expression « sentiment anti-français » ne résume pas tout à fait la réalité du terrain.

Laurent Correau, RFI, 11 octobre 2022.

Photo: Le président français Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse à l’aéroport international de Nouakchott, le 30 juin 2020. © AFP / LUDOVIC MARIN

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