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20 septembre 2021

La conscience écologique radicale de Fred Dubé

Dans un esprit de décroissance artistique, Fred Dubé s’apprête à retourner s’installer dans son Rimouski natal. « Tant qu’à faire la file avec 50 humoristes à Montréal, j’aime mieux aller à Rimouski. Ça fait plus de sens », dit-il. Et Montréal pourrait bien s’ennuyer rapidement de sa verve insolente, de son humour engagé, de sa plume incisive et de son audace cinglante.

L’humoriste, qui signe des chroniques dans Le Mouton noir du Bas-Saint-Laurent depuis plusieurs années, a pris goût à l’écriture. Il se révèle encore dans le second livre qu’il publie chez Lux : L’apocalypse durable, pamphlet à l’usage des écoanxieux pour radicaliser leur famille.

Son premier conseil : faire brûler un Costco. « On peut pu rien dire… », se plaint-il ensuite. Brûler, c’est peut-être un peu fort. Pour l’instant, Fred Dubé se contente plutôt de militer contre l’ouverture d’un Costco à Rimouski.

Écorévolté

Ne ménageant pas sa verve, Fred passe de l’humour au pamphlet à la poésie sans crier gare, et sans nous perdre en chemin. « Je suis plus écorévolté qu’écoanxieux », reconnaît-il. Ce qui le révolte, c’est le système entier, celui de la croissance économique, des injustices et des inégalités sociales, mais aussi celui des stars, dans une industrie culturelle qui « enseigne que le jeu, l’imaginaire, le rêve doivent être des activités lucratives ».

Comme les irréductibles Gaulois d’Astérix, il ne dédaigne pas d’étriller sur sa route quelques gêneurs, vedettes en tous genres, du chroniqueur économique Gérald Fillion, qu’il définit en entrevue comme un militant capitaliste, à Laurent Duvernay-Tardif, à qui il reproche de se contenter de recommander aux jeunes de se trouver une passion, comme si c’était une réponse à tout, en passant par Martin Picard, pour ses intérêts personnels dans l’élevage des porcs. Gérald Fillion, « c’est un militant du libre marché », dit-il. « Quand Gérald Fillion dit “bonne nouvelle le Nasdaq et le Dow Jones remontent en Bourse”, cela s’appuie sur combien d’écosystèmes détruits ? » demande-t-il.

Fred Dubé ne se gêne pas non plus pour parler de la « KKKapitale nationale », ou de l’industrie culturelle comme d’« une mégaporcherie où des êtres vivants sensibles sont élevés, maltraités, puis abattus ». On peut déceler une teinte de Pierre Falardeau dans le ton et le discours. En entrevue, l’humoriste admet jouer d’une certaine violence. « J’adapte. Je ne tire pas de la même façon sur tout le monde. Je vais adapter ma violence selon la violence répandue par ma cible », dit-il.

Inutile de dire qu’il se fait parfois quelques ennemis en chemin…

C’est le cas du millionnaire François Lambert, qui a déjà appelé la police, en vain, pour se plaindre de ses attaques. Ou encore des représentants de diverses tribunes radiophoniques, qui ont décidé de suspendre ses interventions, jugées trop radicales.

Radical de toujours

Fred Dubé n’en a cure. « J’ai toujours été radical », dit-il, ajoutant qu’il vient d’une famille où on préférait « se faire péter la gueule » que de se faire marcher sur les pieds. « Lorsque je dis qu’il faut tuer les riches, ça n’est pas aux riches que je m’attaque, c’est à leur richesse. »

Aujourd’hui âgé de 36 ans, il dit avoir alimenté sa révolte aux manifestations étudiantes du printemps érable de 2012, sans que cette révolte ait été récupérée dans l’élection du Parti québécois par exemple. « Cela a été une très belle école politique et une belle école sociale. Cela a permis de tester des tactiques de manifestations, de savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas », raconte-t-il.

Aujourd’hui, Fred Dubé, diplômé de l’École nationale de l’humour en 2005, estime qu’il a trouvé ce qu’il cherchait à Montréal et retourne sans regret dans le Bas-du-Fleuve. « Je porte une certaine forme de radicalité peu admise dans les médias », reconnaît-il. Il dit quand même avoir eu la chance d’utiliser l’humour comme instrument sans « trop de compromis ».

Les écoanxieux devront s’y faire, Fred Dubé ne fera rien pour endormir leur mal, au contraire. Il cite d’ailleurs la philosophe française Simone Weil, qui écrivait que « le système capitaliste et industriel tend à détruire toutes les bases possibles d’une organisation différente, et il subsistera jusqu’à l’extrême limite de ses possibilités ».

Dans un dernier chapitre, intitulé « Collapsologie optimiste pour écoanxieux et écoanxieuses », l’humoriste dépeint une planète qui se transforme graduellement en désert. En 2050, prédit-il, l’ONU s’est « dissoute quand Greta Thunberg, à la tête d’une milice révolutionnaire armée, a tout fait sauter. « How dare you ! » furent ses dernières paroles alarmistes ». En 2120 ? « La Terre, un caillou désolé. L’humanité a trouvé son ultime cachette, enterrée dans un trou de mémoire. »

Que faire alors ? Agitateur de conscience, Fred Dubé ne surfe pas beaucoup du côté des solutions, qui, malheureusement, sont toujours imparfaites. Prenez la voiture électrique et la pollution que créent ses batteries, par exemple. Devant l’ampleur des défis, il propose plutôt de dormir, afin de réduire son empreinte carbone. « Dormez, camarades. Reposez-vous radicalement. Sauvez la planète : roupillez. » « À moins de le faire chaque nuit dans un jet privé ou dans un Hummer en marche, le sommeil est sans aucun doute l’activité la plus écologique au monde, écrit-il. Rêver est un passe-temps zéro déchet. »

Caroline Montpetit, Le Devoir, 20 septembre 2021.

Photo: Marie-France Coallier / Le Devoir

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