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16 octobre 2019

Jane Fonda, 81 ans, désobéissante civile

Dans Jane Fonda en cinq actes, le documentaire de Susan Lacy sorti l’an dernier sur HBO, et qu’on peut voir avec sous-titres français sur Illico, on entend une jeune Jane dire : « Un pays sain, comme un individu sain, devrait être en révolution permanente. »

C’est la même femme qui, à 81 ans, a été arrêtée vendredi dernier à Washington lors d’une manifestation pour le climat. Élancée dans son grand manteau rouge, coiffée d’une casquette, elle est restée imperturbable pendant qu’on l’escortait vers le panier à salade, et la photo a bien sûr fait le tour des réseaux sociaux. C’est que, en 50 ans de militantisme, elle est une habituée des arrestations. Les cordons en plastique ont remplacé les menottes en métal, mais son combat reste le même : secouer la majorité silencieuse, quitte à la déranger un peu.

PHOTO ARLO HEMPHILL, REUTERS
Jane Fonda, 81 ans, a été arrêtée vendredi dernier à Washington lors d’une manifestation pour le climat.

Après avoir été relâchée, elle a expliqué dans une entrevue à CNN pourquoi elle a décidé de participer toutes les semaines aux Fire Drill Fridays pour les quatre prochains mois afin de réclamer un New Deal vert qui devrait tenir compte des enjeux intersectionnels autour du climat. Parce que pour elle, pas question de laisser en rade les communautés et les travailleurs dépendants des énergies fossiles dont on doit se libérer.

Voyez l’arrestation de Jane Fonda

Inspirée par le militantisme de Greta Thunberg et la lecture du dernier essai de Naomi Klein qui vient de sortir en français (La maison brûle – plaidoyer pour un New Deal vert, chez Lux), elle estime qu’elle doit s’investir dans cette lutte. « Ça m’a vraiment frappée à quel point cet enjeu est urgent et que je n’en faisais pas assez, a-t-elle dit. Vous savez, je conduis une voiture électrique, je recycle, je me suis débarrassée du plastique, mais… C’est un bon point de départ, mais ce n’est pas un bon point d’arrivée. C’est une crise collective qui demande des actions collectives, alors j’ai décidé d’utiliser ma célébrité pour essayer d’élever le sentiment d’urgence. J’ai déménagé à Washington et je vais être arrêtée tous les vendredis. »

En entendant son ton résolu, voire habitué à la chose, j’ai pensé : wow, quand je serai grande, j’espère avoir la couenne de cette femme.

On n’en attendait pas moins de Jane Fonda, qui a été autrefois perçue comme la pire traîtresse à la nation dans sa lutte contre la guerre au Viêtnam. Elle a commis des erreurs, comme de se faire photographier derrière une arme de l’ennemi, ce qui constitue son pire regret de militante, mais elle n’a pas lâché le militantisme malgré la violence des attaques contre elle. Le Viêtnam, les droits des autochtones et des Noirs, l’égalité pour les femmes, l’environnement ; son engagement n’a pas connu de répit et elle a depuis longtemps prouvé que ce n’était pas qu’une passade d’actrice en quête d’une image plus sérieuse. On apprend d’ailleurs dans ce documentaire que sa fameuse vidéocassette d’aérobie – le plus grand succès commercial du genre à l’époque – n’a été créée que pour financer des activités politiques !

En tout cas, s’il y en a une qui peut comprendre par quoi passe Greta Thunberg dans l’opinion publique, c’est bien Jane Fonda, même si la jeune militante est devenue célèbre par son combat, alors que Fonda était déjà très connue lorsqu’elle s’est lancée dans le militantisme, ce qui a donné de la publicité à ses causes, mais qui lui a souvent nui aussi.

PHOTO DAVID SWANSON, ASSOCIATED PRESS
Jane Fonda n’a jamais eu peur de manifester. Comme ici, à Los Angeles, le 20 septembre dernier.

Mais l’implication d’une Jane Fonda octogénaire dans la lutte contre le réchauffement climatique apporte une dimension nouvelle à cette cause : le visage des personnes âgées. Dans un article du Guardian publié hier, la journaliste Polly Toynbee explique pourquoi les aînés sont en train de devenir des héros du mouvement Extinction Rebellion qui fait tant jaser chez nous depuis son blocage du pont Jacques-Cartier : tout simplement parce qu’ils sont les mieux placés pour être arrêtés. Ils n’ont plus rien à perdre, ne craignent pas de perdre un emploi ou d’entacher leur CV, et n’ont pas à s’inquiéter des enfants à la garderie quand ils passent quelques heures en prison. La plus récente figure qui vient de marquer les esprits est le rabbin Jeffrey Newman, 77 ans, qui a été arrêté lundi à Londres, bastion originel de ce mouvement. On le voit à genoux dans la rue, avec le logo d’Extinction Rebellion sur sa kippa, refuser pacifiquement de bouger, ce qui oblige les policiers à l’embarquer en le traînant. Et c’est toujours désastreux sur le plan de l’image de voir des vieux se faire bousculer par la police, dans une société où beaucoup applaudissent la force quand elle s’exerce contre de jeunes militants.

Voyez l’arrestation de Jeffrey Newman

« Nous sommes dans une période d’énorme et catastrophique effondrement, dit-il aux médias. Et si ça prend une arrestation pour essayer de trouver des moyens de galvaniser l’opinion publique, eh bien ! ça vaut le coût d’être arrêté. »

Nous entrons probablement dans une nouvelle étape de ce mouvement mondial de lutte contre les changements climatiques, qu’on aime présenter comme un combat des jeunes ou un affrontement entre les générations. L’entrée en scène des personnes âgées signifie que le mouvement devient intergénérationnel et habituellement, quand ça arrive, c’est là que ça devient difficile… à arrêter.

Chantal Guy, La Presse, 16 octobre 2019

Lisez l’original ici.

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