«Grève et paix»: des lois spéciales au profit du néolibéralisme
Les lois d’exception, appelées aussi lois spéciales, qui visent à suspendre des règles de droit pour « préserver la paix, l’ordre et la sécurité publique », ont nombre de fois, depuis 1965, réprimé l’exercice du droit de grève au Québec. En 2012, l’une des plus controversées a mis fin à la grève des étudiants lors du Printemps érable. Martin Petitclerc et Martin Robert montrent que ces lois ont, au profit du néolibéralisme, marginalisé le syndicalisme politique.
Qu’elles s’appliquent au secteur public ou au secteur privé, c’est leur influence sur l’évolution socioéconomique de l’ensemble de la société québécoise qui attire l’attention des deux historiens dans leur ouvrage Grève et paix.
Le titre ne s’inspire pas pour rien de celui du roman de Tolstoï Guerre et paix. Grâce surtout à une documentation inédite, les luttes syndicales contre le patronat y ont le caractère épique et inéluctable de la résistance de la Russie à l’invasion napoléonienne de 1812.
Depuis l’adoption en 1964 du Code du travail du Québec, Petitclerc et Robert dénombrent 42 lois adoptées pour régler de façon autoritaire des conflits entre syndicats et patrons en menaçant les contrevenants de pénalités, en général plus rigoureuses que celles qu’ont imposées des lois semblables ailleurs au Canada. Dans la même période, ajoutent-ils, le Parlement fédéral en a adopté 31, dont la plupart touchent des travailleurs québécois.
Entre 1975 et 1980, non seulement les lois d’exception augmentent, mais elles deviennent « de plus en plus punitives », si bien que Petitclerc et Robert endossent pour décrire la situation la formule « exceptionnalisme permanent » des politologues ontariens Leo Panitch et Donald Swartz.
Déjà, en 1972, la résistance à une loi pour régler le conflit entre le gouvernement libéral et un front commun syndical, représentant une multitude de travailleurs du secteur public, avait jeté en prison les chefs des grandes centrales.
Le caractère punitif des lois
En 1976, la victoire du PQ, un parti qui, rappellent les historiens, avait un « préjugé favorable aux travailleurs », atténue la tension. Cependant, dès 1980, soulignent-ils, une loi pour mettre fin à un conflit entre syndiqués et patrons dans l’enseignement « renoue avec le caractère punitif des lois » du gouvernement libéral. Ce qui annonce le rôle coercitif du deuxième mandat péquiste (1981-1985).
Petitclerc et Robert estiment que les gouvernements du PQ et du PLQ ont adopté en 1983 et en 1986 les lois « les plus répressives dans l’histoire du Canada » pour arrêter des grèves illégales dans les services publics. On ne peut guère en douter devant le succès du néolibéralisme économique.
L’antithèse de celui-ci, l’altermondialisme, n’a presque pas, comme le regrettent avec justesse Petitclerc et Robert, donné au mouvement syndical, affaibli et peut-être indifférent, le souffle qui lui manque.
Extrait de « Grève et paix »
« En créant une conjoncture systématiquement défavorable à la grève, la loi d’exception a grandement contribué à disqualifier son exercice et à marginaliser le syndicalisme sur le plan politique. Renverser cette lourde tendance s’annonce certes comme un défi de taille, mais à la mesure d’un mouvement fort d’une histoire de près de deux siècles. À notre avis, la capacité du mouvement syndical à résister à la prochaine vague de politiques néolibérales en dépend, tout comme celle de contribuer à la transformation de la société dans le sens de la justice sociale. »
Michel Lapierre, Le Devoir, 12 mai 2018
Photo: Marie-Hélène Tremblay / Le Devoir. Une manifestation à Montréal, en 2013, en mémoire du Printemps érable
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