Godin: un ouvrage aussi rigoureux que passionnant
Il est très étonnant de constater que personne n’avait encore consacré une biographie à Gérald Godin. La lacune est aujourd’hui comblée et non sans panache par Godin, un ouvrage très consistant de Jonathan Livernois, professeur d’histoire littéraire et intellectuelle à l’Université Laval qui l’a publié chez Lux.
Pourquoi Godin? « Il représente une des mes premières émotions que je qualifierais de nationaliste, explique l’auteur. Je me souviens du film de l’ONF Québec un peu, beaucoup, passionnément qui, malgré ses défauts, m’avait marqué. On y présentait le couple Godin/Julien comme un peu l’incarnation de l’indépendantisme en marche et ça m’avait marqué. »
« Par la suite, je me suis fait une spécialité d’étudier les rapports entre politique et littérature au Québec et Gérald Godin m’apparaît comme l’incarnation d’une figure un peu inédite au XXe siècle, celle d’un littéraire qui a marqué le monde politique. »
Profitant d’une année sabbatique à l’université, il s’est lancé dans une exhaustive recherche favorisée par une énorme quantité d’archives disponibles, un luxe rare. Il estime à trois ans la durée de son travail pour en arriver à publier cet ouvrage de 536 pages très solidement documentées.
« Il est étonnant de constater que personne ne se soit attelé à cette tâche avant. Il y a eu, cela dit, des documentaires comme celui, excellent, de Simon Beaulieu.
« Le personnage de Gérald Godin est revenu à l’avant-plan à quelques reprises autour des questions d’immigration, du virage peut-être plus identitaire du Parti québécois, par exemple, mais il reste que l’absence d’une biographie depuis son décès montre les trous noirs qui subsistent dans notre histoire politique. »
Godin, c’est aussi toute une époque qui apparaît bien différente de l’actuelle. « C’est une période de grands changements qui offrait toutes sortes de possibilités aux gens qui étaient le moindrement allumés, dit l’auteur. C’est un temps où il semble que tout était à faire. »
S’il n’a pas tout fait, Gérald Godin a fait pas mal de choses. Journaliste, poète, enseignant, politicien. Qu’est-ce qui a marqué sa vie, selon son biographe? « Je pense que le journalisme est certainement à considérer. Comme poète, il a écrit des œuvres remarquables, mais il faut bien admettre que tout ce qu’il a publié n’était pas d’un même niveau.
« Il a eu un rôle important en tant que ministre, mais certainement pas aussi marquant que celui de plusieurs de ses collègues. Il a surtout marqué les esprits par les ponts qu’il a su créer avec les différentes communautés culturelles. Je pense, en définitive, que c’est d’abord dans le journalisme qu’il a le plus laissé sa marque.
« Il était fasciné par le réel, la vie concrète des gens. On l’a vu dès ses débuts au Nouvelliste à la fin des années 50 alors qu’il s’est intéressé au développement des infrastructures municipales. Ça l’a beaucoup formé. Il a, tout au cours de sa vie, conservé ce regard de journaliste centré sur le concret. Il a d’ailleurs été le premier à enseigner le journalisme d’enquête à l’UQAM dans les années 70. »
Le biographe en veut aussi pour preuve les archives personnelles extrêmement riches du politicien poète. « Ce n’est pas forcément très ordonné, mais on voit dans sa volonté de tout conserver un réflexe de journaliste. »
Difficile à cerner
Tout au cours de l’ouvrage, Jonathan Livernois dessine le portrait d’un homme parfois fantasque, mais surtout difficile à cerner. Son caractère complexe qui se manifeste dès ses années d’étude au Séminaire de Trois-Rivières n’aura de cesse de s’exprimer tout au cours de sa vie.
« Il a toujours véhiculé l’image de quelqu’un de cool qui pouvait paraître un peu tête en l’air pour certains. Or, j’ai découvert une grande rigueur chez lui. Il se documentait beaucoup et se montrait assidu quand venait le temps d’attaquer un dossier en tant que ministre. Il a notamment été un membre influent et respecté au sein du Conseil du trésor. »
— Jonathan Livernois
« Il n’est pas faux de dire qu’il avait un côté débraillé, mais je pense aussi qu’il a joué de cette image. Ça faisait partie de son personnage. »
Pour avoir interviewé une bonne quarantaine de personnes de Pierre-Marc Johnson aux membres de la famille Godin, il retient certains traits qui semblent faire l’unanimité. « À peu près tout le monde s’entend pour dire qu’il était authentique. Je dirais que les qualificatifs qui reviennent constamment sont qu’il était séducteur, avec les hommes tout autant que les femmes, et intelligent.
« Même Pierre-Marc Johnson le présente ainsi, et ce, même si Gérald Godin a fortement contribué à sa démission en tant que chef du Parti québécois. »
Il est d’ailleurs intéressant de constater que la lecture de l’ouvrage laisse une impression de cet ordre. L’auteur présente ce personnage qu’était Gérald Godin dans ses contradictions et ses côtés certes moins glorieux. Pourtant, même à travers un livre qui paraît 29 ans après son décès, l’homme apparaît séduisant malgré, ou peut-être à cause, de ses louvoiements et ce que certains pourraient voir comme des errances.
Jonathan Livernois parle évidemment de sa relation tumultueuse avec Pauline Julien sans en faire le centre de quelques chapitres. Il se tient très loin des ragots pour ne s’intéresser à cette relation amoureuse que dans la mesure où elle contribue au portrait qu’il tente de tracer. En fait, elle est révélatrice du caractère même du poète : c’était un homme de passion et de contradictions.
Riche documentation
L’auteur dit avoir été chanceux d’avoir eu accès à une énorme documentation incluant les archives personnelles de Gérald Godin. Il le doit à la générosité de Pascale Galipeau, fille de Pauline Julien, qui lui a fait confiance.
« Je suis à l’aise de dire que je pense avoir fait preuve de probité intellectuelle en écrivant ce livre. Même dans la plus détaillée des biographies, il faut se méfier; personne ne détient la vérité absolue sur un individu.
« Je pense avoir établi certains traits de Gérald Godin qui sont justes et à ce titre, chez lui, la séduction me semble un élément important. Et cela est vrai aussi bien au niveau électoral qu’au niveau de ses relations avec les individus. »
Personne ne peut nier que l’existence de ce fier Trifluvien a été intense. « Il a eu une vie très concentrée puisqu’il est décédé à un jeune âge après avoir accompli énormément de choses. Il faut dire qu’il a traversé une époque très stimulante qui a mis en valeur ses qualités particulières. Je ne suis pas convaincu qu’il aurait eu le même impact s’il était né 50 ans plus tôt. »
« Déjà, je ne suis pas sûr qu’on pourrait aujourd’hui entendre un député d’arrière-ban s’exprimer librement comme lui l’a fait à ses premières années à l’Assemblée nationale. Peut-être que l’humanisme d’un Gérald Godin dans la politique d’aujourd’hui ferait du bien. »
Il aura fallu patienter longuement avant qu’une première biographie de Gérald Godin soit publiée, mais l’attente en aura valu la peine. En plus d’être très bien fait, l’ouvrage est passionnant.
François Houde, Le Nouvelliste, 22 octobre 2023.
Photo: © Justine Latour
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