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14 octobre 2022

Françafrique: l’ADN colonial de la diplomatie française

Dans « Les ambassades de la Françafrique », notre ancien collaborateur Michael Pauron décortique l’ensemble des pratiques du corps diplomatique français qui peuvent expliquer le rejet dont souffre aujourd’hui l’ancienne puissance coloniale.

 

Mis en ligne le 15 janvier 2022 par le site français d’investigation Mediapart, un article de notre ancien collaborateur Michael Pauron vient clore une sordide affaire de mœurs. Intitulé « Violences sexuelles : l’ex-ambassadeur en Côte d’Ivoire sanctionné », le texte relate la mise à la retraite d’office, le 15 novembre 2021, de l’ambassadeur de France Gilles Huberson, soupçonné de harcèlement et d’agression sexuelle. S’achève ainsi une longue enquête journalistique, qui n’est en réalité qu’une partie d’un travail plus ambitieux sur les errements de la diplomatie française en Afrique, en particulier dans ses anciennes colonies.

Devenu l’un des animateurs du site Afrique XXI, Michael Pauron publie aujourd’hui une somme conséquente rassemblant plusieurs années d’enquête sur un réseau diplomatique qui a du mal à se défaire de son ADN colonial. Les ambassades de la Françafrique – L’héritage colonial de la diplomatie française est publié par les éditions canadiennes Lux, dans la collection Dossiers noirs, dirigée par l’association Survie. C’est un ouvrage dense, informé, qui procède non par grandes révélations, mais par petites touches impressionnistes qui, peu à peu, exhibent les rouages d’une machine pilotée depuis Paris et financée par les impôts de contribuables français ignorant, la plupart du temps, ce qui se décide en leur nom.

Dépenses voluptuaires et manque de transparence

Comme souvent dans les Dossiers noirs de Survie, le dossier « à charge » s’appuie sur une multitude d’exemples qui permettent de se faire une idée générale de la situation. Compilant lectures, enquêtes de terrain, interviews et analyses, Michael Pauron s’est faufilé dans les cuisines et les arrière-cuisines des chancelleries françaises. Relations troubles entre ambassadeurs et pouvoirs en place, délégation et privatisation des services consulaires, abus de pouvoir, comportements et mentalités coloniaux, dépenses voluptuaires, Les ambassades de la Françafrique décortique l’entité « ambassade de France » de la conception architecturale de ses murs aux sociétés de gardiennage locales qui en garantissent, en première ligne et pour peu cher, la sécurité.

Les contribuables français y glaneront quelques chiffres d’autant plus rares qu’en matière de dépenses de fonctionnement, la transparence n’est pas de mise au Quai d’Orsay – alors même que le train de vie des expatriés du corps diplomatique ne prête pas, tant s’en faut, à l’apitoiement. « Si l’on souhaite connaître avec précision les dépenses de fonctionnement des représentations françaises en Afrique, il faut se lever tôt : aucune donnée n’est disponible poste par poste », écrit Michael Pauron.

Vue sur la place d’armes de la base opérationnelle avancée (BOA) de Gossi, située au cœur du Gourma, le 14 avril 2022, alors que les opérations de désengagement et de démontage se poursuivent progressivement. © Tanguy Vabatte.

Vue sur la place d’armes de la base opérationnelle avancée (BOA) de Gossi, située au cœur du Gourma, le 14 avril 2022, alors que les opérations de désengagement et de démontage se poursuivent progressivement. © Tanguy Vabatte.

Avant de poursuivre, quelques lignes plus loin : « Selon le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’action extérieure de l’État, cette dernière est aujourd’hui estimée à 4,17 milliards d’euros pour l’ensemble du parc à l’étranger. En 2022, le total des dépenses de fonctionnement et d’investissement atteint 410,3 millions d’euros, soit une hausse de 10,2 millions (+2,6 %) par rapport à 2021 (environ 14 % du budget global du ministère des Affaires étrangères, qui s’élève à 2,9 milliards d’euros). » Des dépenses qui contribuent « à façonner l’image de la France à l’étranger »… Comme dans un autre temps, si l’on ose dire.

Sentiment antifrançais

Cette image que les ambassades françaises façonnent aujourd’hui n’apparaît guère reluisante. À titre d’exemple, Michael Pauron démontre comment le chantier de rénovation de la chancellerie française au Gabon, a surtout profité à des capitaux français maquillés en entreprises locales. L’avantage ? Bénéficier d’une main d’œuvre bon marché tout en gardant le contrôle. « Des ouvriers payés aux conditions contractuelles locales, forcément avantageuses pour les entreprises, assurant des marges confortables et des bénéfices qui seront rapatriés dans les coffres-forts de patrons français. Cocorico », écrit l’auteur.

La liste ne s’arrête pas là des dérives qui contribuent à nourrir le sentiment antifrançais. L’auteur décrit aussi avec force détail comment la France délègue une partie de la gestion des visas à des prestataires privés, comme VFS Global ou TLScontact, enrichissant ses partenaires commerciaux sans garantie absolue de protection des données privées qui leur sont confiées.

Passe-droit

Mais au fond, c’est sans doute la troisième partie du livre, intitulée « Dans les anciennes colonies, tout est permis », qui révèle le mieux l’état d’esprit de certains – qui pensent que leur position leur donne, aussi, un droit sur les corps. Dans ce chapitre, sont détaillées plusieurs affaires de mœurs qui ne font guère honneur au corps diplomatique – des affaires qui ne s’achèvent que fort rarement devant un juge.

Et pourtant : « Tout fonctionnaire ayant connaissance de faits délictueux doit en informer le procureur de la République, au titre de l’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale », rappelle Pauron. Dans les faits, le silence est la plupart du temps de mise. Les mises à la retraite d’office ne sont sans doute pas une solution, quand il s’agit de changer les mentalités en profondeur.

Nicolas Michel, Jeune Afrique, 14 octobre 2022.

Photo: Ambassade française en Côte d’Ivoire. © Issouf Sanogo / AFP

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