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Portrait photo de Fabien Cloutier.
31 janvier 2023

Fabien Cloutier en toute délicatesse

Rencontre en Crocs, au-delà du personnage.

Le stationnement est désert devant le centre communautaire de Saint-Marc-des-Carrières, une bourgade de 2 800 âmes perdue à mi-chemin entre Trois-Rivières et Québec. Pour la plupart du monde, Saint-Marc n’est qu’une pancarte croisée sur l’autoroute 40. Mais jeudi, le village était l’escale d’un spectacle de l’humoriste/dramaturge/comédien/auteur Fabien Cloutier, en rodage depuis quelques mois de son prochain et deuxième one man show intitulé Délicat.

En fait, il n’y a que deux voitures dans le stationnement exposé aux bourrasques de fin de tempête : celle de l’hôte des lieux et celle de Fabien Cloutier.

Le premier termine d’installer environ 200 chaises dans la grande salle, l’autre termine de souper dans une pièce au fond servant de loge.

Fabien Cloutier m’accueille en vêtements décontractés et en Crocs avant de s’échouer dans un sofa en face de moi.

Il achève une série de spectacles préparatoires, à l’aube d’une tournée provinciale qui s’ébranlera sous peu aux quatre coins de la province. Il vient aussi de sortir un recueil de chroniques intitulé L’allégorie du tiroir à ustensiles (Lux Éditeur, deuxième ouvrage du genre qui cartonne en librairie). C’est sans compter ses rôles à la télévision et passages appréciés au micro de Paul Arcand.  Bref, notre Léo national ne chôme pas.

« Je suis pas loin de mon show. La réception est bonne », tranche-il, se remémorant celui donné au mythique Vieux Clocher de Magog, dont le l’accueil chaleureux lui a servi de baromètre réconfortant.

Portrait photo de Fabien Cloutier.

Même si le spectacle achève de prendre forme, Fabien Cloutier se permet encore de casser du nouveau matériel. Ce soir, il essayera une ou deux minutes de contenu neuf.

Lors de son premier one man show d’humour, Assume, il n’avait pas rodé autant ses numéros en salle avant de se lancer. Par déformation professionnelle, peut-être, pour cet habitué du théâtre où l’on se lance rapidement dans le bain devant public.

« Mais je ne renie rien [de mon premier spectacle], ça ne sert à rien. Je fais peut-être plus attention aux gens que je nomme », souligne Fabien, un brin mal à l’aise avec l’idée de cibler personnellement des personnalités dans ses numéros. Ce qu’il a fait un peu dans le premier, notamment en raillant l’animatrice Saskia Thuot avec son personnage grivois.

Quelque chose qu’il n’assume pas tant justement. « Je l’ai croisée [Saskia] et c’est une personne très sympathique. Quand je fais des blagues sur quelqu’un, c’est parce que c’est des gens que j’aime. »

Il avoue avoir pris du galon depuis son dernier solo d’humour. Avec l’animation de quatre galas ComediHA! derrière la cravate, il s’autodiagnostique davantage d’aisance et de dégaine sur scène.

Sa popularité grandissante l’aide aussi à créer une distance avec son personnage de scène. « Les gens me connaissent plus, me voient en entrevue. C’est plus clair pour eux quand ils me voient débarquer sur scène et dépasser tout ça. Ça me donne une permission », analyse Fabien Cloutier, au sujet de son personnage de mononcle sanguin un brin hystérique taillant souvent en pièce des idées progressistes qui le rejoignent réellement. « Les gens me connaissent maintenant assez pour savoir quand je dépasse ma pensée », résume ce diplômé du Conservatoire de musique et d’arts de Québec d’un ton calme et posé, dans la loge patentée.

Il cite – avec humilité –  Yvon Deschamps, passé maître dans l’art de jongler sur scène entre une facette très humaine et une autre très caricaturale.

« Des sujets m’appartiennent peut-être moins. »

Mais pour bien cerner le personnage, justement, il faut voir l’œuvre dans son intégralité et pas seulement en pièces détachées à la télé ou sur leur web, où une confusion est possible. « Quand tu fais de l’humour, tout ce que tu dis pris hors contexte a un potentiel de te nuire. »

Pas de panique, Fabien Cloutier ne lancera pas un cri du cœur contre la censure. En entrevue récemment à La Presse, il expliquait à Marc Cassivi que la prolifération des tribunes offrait au contraire un buffet ouvert pour s’exprimer. « Est-ce qu’il y a une époque où il s’est déjà dit plus de choses? Tout se dit. Après ça, dépendamment de ce que tu dis, ça va faire des vagues, ça va être repris, ça va bouger », disait-il à mon collègue journaliste.

Fabien Cloutier persiste et signe. « Je ne me sens pas lésé dans les sujets à aborder, mais certains thèmes demandent plus d’intelligence qu’avant. » Un exemple? Il éclate de rire, évitant le piège. « Il y a une violence sur les réseaux sociaux. Des sujets m’appartiennent peut-être moins. Je me les serais peut-être “appropriés” il y a quelques années, mais pas là… », répond-il.

Parlant de sujet tendance, il y a le privilège, dont Fabien Cloutier est bien conscient de pouvoir jouir.  « Je fais des shows, de la télé et des magazines à potins. Il y a plein de sujets que, si je me prononçais, ça décollerait sans doute, mais j’aurais l’impression de prendre la place de quelqu’un », souligne-t-il, sans pointer du doigt ces gens qui commentent plus vite que leur ombre. « Il y a beaucoup de monde qui souhaite participer au bruit ambiant. Est-ce vraiment nécessaire? », lance-t-il dans l’univers (à bon entendeur, salut!).

Fabien Cloutier n’a pour sa part eu aucun mal à se sevrer des réseaux sociaux où il sévit à peine.  « Au début, j’ai eu ce petit kick pour me prononcer en 140 caractères. Là, quand j’ai de quoi à dire, j’ai la radio », souligne le Mike Pratt de Faits Divers.

Il puise aussi son matériel de spectacles d’humour dans l’air du temps, avec sa sauce bien colorée. S’il carbure à l’actualité, Fabien Cloutier aime bien laisser la poussière retomber sur les sujets brûlants avant de s’y aventurer. Un art qu’il maîtrise notamment chez Paul Arcand où il aborde de manière décalée des sujets qui n’ont parfois rien de drôle. Parmi eux : Hockey Canada (scandale des accusations de viols collectifs), l’assaut du Capitole, la pandémie et bien d’autres encore.

« Ça va tellement vite et tout le monde en parle alors tu te retrouves rapidement à ne plus chroniquer sur la nouvelle, mais plutôt son traitement », explique Fabien Cloutier. Il se remémore cet enseignant inspirant du cégep, qui demandait à ses élèves de s’intéresser aux différents traitements d’une même nouvelle dans plusieurs médias.

« Je suis conscient, mais pas anxieux. »

Si l’anxiété chez les jeunes est un autre sujet « tendance », Fabien Cloutier, père de deux ados, s’en tire bien à ce niveau. Pas au point de s’en laver les mains, par contre, ni de se mettre la table dans le sable. « Je suis conscient, mais pas anxieux. Et ça doit nous pousser vers une forme d’action, mais c’est certain que pour certaines personnes, on n’en fera jamais assez », observe-t-il.

L’environnement le préoccupe certes beaucoup, mais il aborde certains enjeux d’un point de vue excentré par rapport à Montréal, ce qui montre une perspective différente. Un exemple banal serait lorsqu’il fustige le goût et une certaine posture militante liée à la consommation de lait d’amande dans son premier spectacle.

Au-delà de l’ironie et de la caricature, Fabien Cloutier exprime des idées à contre-courant (de mon fil Facebook en tout cas) qui rejoignent pourtant à ce jour la majorité. Parce que oui, le dramaturge boit du lait de vache (scandale!). « Les vaches ne sont pas toutes maltraitées. Je connais plein de producteurs laitiers qui s’en soucient », précise le Beauceron d’origine.

Portrait photo de Fabien Cloutier.

À porter autant de chapeaux, lequel lui sied le mieux ? En a-t-il un favori? Une question à laquelle le principal intéressé semble avoir du mal à répondre. « Est-ce que je suis un acteur qui écrit ou un auteur qui joue? Une chose est sûre, j’aime écrire et c’est ma carrière d’auteur qui a amené ma carrière à un autre niveau », reconnaît l’auteur-interprète des pièces Cranbourne et Scotstown qui lui ont conféré une notoriété dans le milieu.

Son succès grand public, il le doit certainement à Léo et bien sûr son rôle de Marc-André, le frère de Martin Matte dans Les beaux malaises. Comme il enfile les rôles depuis celui de Tony Tremblay dans Watatatow, on l’arrête désormais sur la rue pour un éventail de personnages. « Hey Oscar! », lui lance-t-on aussi souvent, un clin d’œil à son personnage d’Oscar Labranche dans Les pays d’en haut.

« Parler à beaucoup de monde, j’aime ça. »

Mais Fabien Cloutier jure ne pas être en campagne de séduction pour être populaire. Il s’efforce simplement de rester lui-même, le secret de son succès. Il aime les gens en plus, sans le feindre. « Parler à beaucoup de monde, j’aime ça. C’est le fun trouver la bonne ligne et de la voir se rendre à plusieurs oreilles, j’aime cette sensation », confie-t-il.

Son public le lui rend bien en le traitant aux petits oignons ou en l’embarquant à l’occasion dans leurs montagnes russes. « Des gens m’écrivent en me disant s’être reconnus dans Léo et que ça leur a donné le goût de changer. D’autres me disent : “Crisse, je pense que tu m’as sauvé la vie”. J’ai eu ça plusieurs fois…»

S’il aime le contact avec les gens, Fabien Cloutier choisit aujourd’hui plus soigneusement ses bains de foule, sachant qu’on l’arrêtera plus souvent. « Je pense que je dégage quelque chose de proche, d’accessible. Les gars chauds, je les attire », sourit-il.

À des années-lumière de la condescendance, il y a une candeur du terroir dans ses expressions, son franc-parler, qui ramène une bonne partie de son œuvre sur le plancher des vaches.

Je ne peux rien ventiler sur la pièce avant la tournée officielle, mais il fallait voir le public de Saint-Marc-des-Carrières réagir pour s’en convaincre. Au point de me demander si les mêmes envolées rurales trouveront un écho semblable dans les centres urbains.

« Mais qui a dit que la société était parfaite?»

Après une incursion dans le folklore québécois des « vrais gars » avec le documentaire Mononcle, j’ai demandé à Fabien Cloutier s’il anticipe de vieillir où s’il observe une sorte de péril chez l’homme mûr blanc hétéros cis des régions, devenu un cliché ambulant dans plusieurs numéros d’humour. Pas de panique assure Fabien, capable de dealer avec la « menace » d’extinction et ne jamais recourir au proverbial  « on peut pu rien dire ».

« Tu sors de chez vous et il y a encore plein de messieurs. Je ne me sens pas en danger, mais c’est sûr que certaines idées nous bousculent. Des fois, la société change et notre premier réflexe est de nous braquer. Mais qui a dit que la société était parfaite? Sur quel modèle on se base pour dire qu’on est idéal au point de ne pas vouloir changer? »

Portrait photo de Fabien Cloutier.

Fabien Cloutier souhaite toutefois qu’on travaille un peu « notre collectif ». En gros, il aimerait voir la société prendre de manière plus globale les problèmes au lieu de tout ramener à sa petite personne. Il déplore le manque d’enthousiasme pour contrer la pauvreté et le snobisme ambiant au point d’y voir une sorte de système de classe. « L’ouvrier est devenu une personne un peu bébête, le camionneur, un gros épais. Si une coiffeuse ou un plombier se lance en politique, on se dit spontanément : “Ben voyons donc!” »

Même l’expression « humour engagé » suinte de cette condescendance, à ses yeux. Fabien Cloutier se retient d’ailleurs d’apposer la moindre étiquette sur sa job. « J’aime faire rire du monde tout court et ça, c’est un osti d’engagement. C’est pas obligé d’être plus compliqué que ça. J’ai peut-être des déneigeurs ce soir qui en ont eu une tabarnak. Ils veulent peut-être juste s’amuser. »

Moins d’une heure avant de grimper sur scène. Fabien n’est pas nerveux, juste fébrile, fier de présenter un autre morceau de son univers. Un spectacle qui se mériterait sans doute le trophée du titre le moins raccord à l’œuvre.

Sans rien spoiler, c’est pas un Fabien Cloutier très délicat qui foulera les planches tout à l’heure, mais une tonne de briques, maintenant rodée et prête à prendre la route. Une tonne de briques capable de faire réfléchir, d’avancer en terrain miné, d’émouvoir et, bien sûr, de faire rire fort.

Et comme il le dit si bien lui-même dans son dernier ouvrage, « parfois, la grosse cuillère à soupe est plus à sa place à travers les couteaux ».

Hugo Meunier, Urbania, 31 janvier 2023.

Lisez l’original ici.

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