Exercer sa citoyenneté
En tant qu’anthropologue, James C. Scott s’est particulièrement intéressé à l’étude des sociétés agraires qui n’ont pas de modèles étatiques. Les Éditions La Découverte publient d’ailleurs son nouvel opus, Homo Domesticus : une histoire profonde des premiers États, un ouvrage qui semble collé sur ses sujets de prédilection. Pour sa part, Lux en profite pour rééditer son petit livre Petit éloge de l’anarchisme, un essai sociopolitique qui demeure particulièrement rafraîchissant à lire.
Malgré le titre de son livre, Scott ne se prétend pas anarchiste (« Contrairement à bien des penseurs anarchistes, je ne crois pas que l’État soit partout et en tout temps l’ennemi de la liberté », nous dit-il dans son introduction); pas plus d’ailleurs qu’il nous convie à une histoire de ce courant politique, ni à un énoncé de ses différentes tendances (on invite le lecteur, ici, à lire L’anarchisme expliqué à mon père de Francis Dupuis-Déry, chez Lux également). L’intellectuel nous livre plutôt une réflexion sur l’acte politique que chaque individu peut être amené à exercer au sein de sa propre communauté. Pour le dire plus simplement : analyser certains faits de société sous la loupe de l’anarchisme permet d’en dénoter les injustices et de rechercher des pistes de solution possibles, réalisables et, surtout, originales.
Ce n’est pas un essai d’une lourdeur excessive et rebutante, bien au contraire. Scott a choisi de diviser son essai selon de grandes thématiques, par exemple : scolarisation, gestion, politique, voire urbanisme et santé; chacun de ces thèmes couvre un chapitre, lui-même constitué de divers fragments (c’est ce terme que choisi l’auteur) dans lesquels le penseur élabore sa démonstration. Le lecteur curieux de saisir de quelle façon l’anarchisme peut être mis en œuvre dans nos sociétés devenues extrêmement complexes trouvera dans cet ouvrage des exemples d’applications concrètes que Scott a dénichés au cours de ses propres observations (notamment en Asie du Sud-Est, son terrain de prédilection en tant qu’anthropologue) et de ses lectures. Si l’auteur nous propose ici diverses façons de mettre en pratique l’anarchisme; si, à l’instar de Kropotkine, il croit davantage à l’entraide qu’à la compétition; il nous rappelle que l’exercice de la liberté en société demeure cependant un travail exigeant de tous les instants (voir ses propos sur la « callisthénie » et, surtout, la petite-bourgeoisie).
La pensée anarchiste nous incite à chérir notre liberté individuelle; toutefois, l’individu doit se souvenir qu’il ne peut s’épanouir qu’au sein d’une société. Le regard pénétrant et empathique de James C. Scott sur nos enjeux sociaux, à l’aune de la pensée libertaire, est une invitation à s’exercer à un véritable « vivre-ensemble ». Une lecture riche et palpitante!
Jérôme Vermette, Libre de lire, le blogue de la Librairie La Liberté, 8 févier 2019
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