Essai: un système de santé malade
Un nouvel ouvrage du bon docteur Alain Vadeboncoeur, urgentologue depuis vingt-sept ans, c’est toujours un événement. Parce que le bon docteur est réfractaire à la langue de bois et a l’habitude d’appeler un chat un chat. Et qu’il prend plaisir à soigner, tout en allant à contre-courant.
Après avoir touché le fond du baril pendant la pandémie, dit-il, il serait maintenant temps de faire notre examen de conscience, prendre le pouls du patient – notre système de santé – et lui prodiguer les soins nécessaires.
C’est-à-dire d’envisager de nouvelles solutions pour l’avenir, au bénéfice des soignants et des malades. Parce qu’il estime que sa plus importante responsabilité, après celle de soigner, «n’est pas de louanger ou de critiquer le système de santé – bien qu’il prête largement le flanc à la louange ou la critique –, mais d’en témoigner, d’en faire comprendre les enjeux, d’en expliquer les forces et les faiblesses, d’en examiner les rouages, d’en enseigner les mystères et surtout de travailler à l’améliorer».
Or, notre système de santé, «malmené d’un peu tout le monde», n’est pas à jeter avec l’eau du bain. Tout n’est pas négatif, affirme-t-il, mais il y a place à l’amélioration, et l’urgentologue va nous indiquer comment s’y prendre, selon lui, cas concrets à l’appui.
Être près du terrain
On comprendra aisément que la distance est immense entre le bureau du ministre de la Santé, qui gère le plus gros budget de l’État, et le bas de la pyramide, hôpitaux et leur personnel soignant, bureaux de médecins, pharmacies, centres d’hébergement de longue durée, etc. Entre le sommet et la base, des gestionnaires qui doivent s’assurer que l’information circule dans les deux sens. Et surtout qu’ils soient près du terrain où se joue la lutte contre les maladies et pour le mieux-être.
Ce ne sont pas les idées qui manquent, certaines réalistes, d’autres des plus farfelues. Doit-on se contenter d’une réforme ou ne rien changer au réseau? demande-t-il? Ajouter du privé ou bien renforcer son caractère public? Où doit-on investir? Comment coordonner les services offerts? Autant de questions auxquelles il tente de trouver des réponses. Le bon docteur est aussi un sage, comme le chevalier Olivier, dans La Chanson de Roland. La plus grande prudence s’impose, répond-il. Mais cette prudence ne doit surtout pas être un frein à l’innovation.
Vadeboncoeur propose d’agir, mais à l’échelle locale avant tout, avec la participation de toutes les personnes concernées, y compris les patients. Et de citer en exemple «ce guichet d’accès pour les gens sans médecin de famille – une bonne idée dans la mesure où de simples soins ponctuels plutôt qu’une prise en charge à long terme sont parfois tout ce qui est requis». Et cette initiative locale, entreprise à Rimouski, le ministre Dubé travaille à la transposer à la grandeur du Québec.
Les faux malades
Le bon docteur Vadeboncoeur se prend à rêver du jour où les dossiers des patients seront informatisés selon un même système et n’auront plus à être acheminés par fax, ce qu’on souhaitait implanter avec la réforme de l’ex-ministre Barrette, qui, selon Vadeboncoeur, n’avait pas les moyens techniques et administratifs de ses ambitions. Nous avons un sacré retard à combler, constate-t-il.
Il rêve aussi du jour où la médecine va d’abord soigner les malades, délaissant les « bien-portants » qui par milliers accourent chez le médecin pour être rassurés sur leur état de santé.
«Une part significative du travail médical est dévolue à ces personnes en bonne santé qui n’en demandent peut-être pas tant.» Malheureusement, on dépense beaucoup pour soigner les petits malaises, les petites inquiétudes de ces bien-portants. On estime à cinq milliards de dollars par année le coût de ces soins inutiles.
Ce qui peut représenter entre 10 % et 20 % de visites inutiles chez le médecin. C’est beaucoup. Les éliminer permettrait assurément de mieux s’occuper des malades chroniques, des personnes âgées en perte d’autonomie et de ceux qui passent trop de temps à l’urgence.
Bref, quand on a choisi de travailler à améliorer la santé d’autrui, on ne peut qu’être pétri d’humanité, clame-t-il, et on voudrait bien le croire. Alain Vadeboncoeur comme ministre de la Santé? Pourquoi pas.
Jacques Lanctôt, Le Journal de Montréal, 4 septembre 2022.
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